Victor Hugo |
Sur la terre, tantôt sable, tantôt savane. L'un à l'autre liés en longue caravane. Échangeant leur pensée en confuses rumeurs, Emmenant avec eux les lois, les faits, les mours, Les esprits, voyageurs éternels, sont en marche. L'un porte le drapeau, les aunes portent l'arche; Ce saint voyage a nom Progrès. De temps en temps. Ils s'arrêtent, rêveurs, attentifs, haletants, Puis repartent. En route! ils s'appellent, ils s'aident. Ils vont! Les horizons aux horizons succèdent. Les plateaux aux plateaux, les sommets aux sommets. On avance toujours, on n'arrive jamais. A chaque étape un guide accourt à leur rencontre; Quand Jean FIuss disparaît, Luther pensif se montre; Luther s'en va. Voltaire alors prend le flambeau; Quand Voltaire s'arrête, arrive Mirabeau. Ils sondent, pleins d'espoir, une terre inconnue; A chaque pas qu'on fait, la brume diminue; Ils marchent, sans quitterxdes yeux un seul instant Le terme du voyage et l'asile où l'on tend. Point lumineux au fond d'une profonde plaine, La Liberté sacrée, éclatante et lointaine. La Paix dans le travail, l'universel Hymen, L'Idéal, ce grand but, Mecque du genre humain. Plus ils vont, plus la foi les pousse et les exalte. Pourtant, à de certains moments, lorsqu'on fait halte. Que la fatigue vient, qu'on voit le jour blêmir, Et qu'on a tant marche qu'il faut enfin dormir, C'est l'instant où le Mal, prenant toutes les formes, Morne oiseau, vil reptile ou monstre aux bonds énormes. Chimère, préjugé, mensonge ténébreux, C'est l'heure où le Passé, qu'ils laissent derrière eux. Voyant dans chacun d'eux une proie échappée, Surprend la caravane assoupie et campée. Et, sortant hors de l'ombre et du néant profond. Tâche de ressaisir ces esprits qui s'en vont. II Le jour baisse; on atteint quelque colline chauve Que l'âpre solitude entoure, immense et fauve, Et dont pas même un arbre, une roche, un buisson Ne coupe l'immobile et lugubre horizon; Les tchaouchs1, aux lueurs des premières étoiles, Piquent des pieux en terre et déroulent les toiles; En cercle autour du camp les feux sont allumés, Il est nuit. Gloire à Dieu! voyageurs las, dormez. Non, veillez! car autour de vous tout se réveille. Écoutez! écoutez! debout! prêtez l'oreille! Voici qu'à la clarté du jour zodiacal2, L'épenïer gris, le singe obscène, le chacal. Les rats abjects et noirs, les belettes, les fouines. Nocturnes visiteurs des tentes bédouines. L'hyène au pas. boiteux qui menace et qui fuit. Le tigre au crâne plat où nul instinct ne luit. Dont la férocité ressemble à de la joie, Tous, les oiseaux de deuil et les bêtes de proie, Vers le feu rayonnant poussant d'étranges voix, De tous les points de l'ombre arrivent à la fois. Dans la brume, pareils aux brigands qui maraudent. Bandits de la nature, ils sont tous là qui rôdent. Le foyer se reflète aux yeux des léopards. Fourmillement terrible! on voit de toutes parts Des prunelles de braise errer dans les ténèbres. La solitude éclate en hurlements funèbres. Des pierres, des fossés, des ravins tortueux, De partout, sort un bruit farouche et monstrueux. Car lorsqu'un pas humain pénètre dans ces plaines, Toujours, à l'heure où l'ombre épanche ses haleines. Où la création commence son concert, Le peuple épouvantable et rauque du désert, Horrible et bondissant sous les pâles nuées. Accueille l'homme avec des cris et des huées. Bruit lugubre! chaos des forts et des petits Cherchant leur proie avec d'immondes appétits! L'un glapit, l'autre rit, miaule, aboie, ou gronde. Le voyageur invoque en son horreur profonde Ou son saint musulman ou son patron chrétien. Soudain tout lait silence et l'on n'entend plus rien. Le tumulte effrayant cesse, râles et plaintes Meurent comme des voix par l'agonie éteintes. Comme si, par miracle et par enchantement. Dieu même avait dans l'ombre emporté brusquement Renards, singes, vautours, le tigre, la panthère. Tous ces monstres hideux qui sont sur notre terre Ce que sont les dénions dans le monde inconnu. Tout se tait. Le désert est muet, vaste et nu. L'oeil ne voit sous les cieux que l'espace sans borne. Tout à coup, au milieu de ce silence morne Qui monte et qui s'accroît de moment en moment, S'élève un formidable et long rugissement! C'est le lion. III Il vient, il surgit où vous êtes. Le roi sauvage et roux des profondeurs muettes! Il vient de s'éveiller comme le soir tombait, Non, comme le loup triste, à l'odeur du gibet, Non, comme le jaguar, pour aller dans les havres Flairer si la tempête a jeté des cadavres, Non, comme le chacal furtif et hasardeux. Pour déterrer la nuit les morts, spectres hideux. Dans quelque champ qui vit la guerre et ses désastres; Mais pour marcher dans l'ombre à la clarté des astres. Car l'azur constellé plaît à son oil vermeil; Car Dieu fait contempler par l'aigle le soleil. Et fait par le lion regarder les étoiles. Il vient, du crépuscule il traverse les voiles, Il médite, il chemine à pas silencieux, Tranquille et satisfait sous la splendeur des cieux; Il aspire l'air pur qui manquait à son antre; Sa queue à coups égaux revient battre son ventre. Et, dans l'obscurité qui le sent approcher, Rien ne le voit venir, rien ne l'entend marcher. Les palmiers, frissonnant comme des touffes d'herbe. Frémissent. C'est ainsi que, paisible et superbe, Il arrive toujours par le même chemin. Et qu'il venait hier, et qu'il viendra demain, A cette heure où Vénus à l'occident décline. Et quand il s'est trouvé proche de la colline, Marquant ses larges pieds dans le sable mouvant. Avant même que l'oeil d'aucun être vivant Eût pu, sous l'éternel et mystérieux dôme, Voir poindre à l'horizon son vague et noir lantôme, Avant que dans la plaine il se fût avancé. Il se taisait; son souffle a seulement passé, Et ce souffle a suffi, (louant à l'aventure, Pour faire tressaillir la profonde nature, Et pour faire soudain taire au plus fort du bruit Toutes ces sombres voix qui hurlent dans la nuit. IV Ainsi, quand de ton antre enfin poussant la pierre. Et las du long sommeil qui pèse à ta paupière, O peuple, ouvrant tes yeux d'où sort une clarté. Tu te réveilleras dans ta tranquillité. Le jour où nos pillards, où nos tyrans sans nombre Comprendront que quelqu'un remue au fond de l'om- Et que c'est toi qui viens, ô lion! ce jour-là, [bre. Ce vil groupe où Falstaff s'accouple à Loyola, Tous ces gueux devant qui la probité se cabre, Les traîneurs de soutane et les traîneurs de sabre, Le général Soufflard, le juge Barabbas, Le jésuite au Iront jaune, à l'oil féroce et bas, Disant son chapelet dont les grains sont des balles, Les M ingrats bénissant les Héliogàbales', Les Vcuillots qui naguère, errant sans feu ni lieu. Avant de prendre en main la cause du bon Dieu, Avant d'être des saints, traînaient dans les ribotes Les haillons de leur style et les trous de leurs bottes, L'archevêque, ouléma du Christ ou de Mahom1, Mâchant avec l'hostie un sanglant Te Deum, Les Troplong, les Rouhcr, violateurs de chartes. Grecs qui tiennent les lois comme ils tiendraient les cartes. Les beaux fils dont les mains sont rouges sous leurs gants, Ces dévots, ces viveurs, ces bedeaux, ces brigands, Depuis les hommes vils jusqu'aux hommes sinistres, Tout ce tas monstrueux de gredins et de cuistres Qui grincent, l'oil ardent, le mufle ensanglanté. Autour de la raison et de la vérité, Tous, du maître au goujat, du bandit au maroufle. Pâles, rien qu'à sentir au loin passer ton souille. Feront silence, ô peuple! et tous disparaîtront Subitement, l'éclair ne sera pas plus prompt,' Cachés, évanouis, perdus dans la nuit sombre, Avant même qu'on ait entendu, dans cette ombre Où les justes tremblants aux méchants sont mêlés, Ta grande voix monter vers les cieux étoiles! |
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Victor Hugo (1802 - 1885) |
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Portrait de Victor Hugo | |||||||||
Biographie / OuvresC'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature Chronologie1802 - Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris. Chronologie historique1848 Bibliographie sÉlective |
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