Victor Hugo |
Le discours. L'une des caractéristiques de la tragédie est l'importance du discours, discours de persuasion (discours à fonction conativE) ou lamento tragique (à fonction émotivE) ou récit à fonction référentielle. L'un des éléments du maintien et de la distorsion du code tragique par Hugo est le changement de nature du discours tragique. Les contemporains avaient parfaitement perçu le problème ; à quoi bon s'insurger contre la parole tragique pour s'en servir autant et à des fins aussi futiles? Reproche - pareil en cela à beaucoup d'autres - à la fois perspicace et non pertinent. Nous essaierons de montrer comment ■ fonctionne ■ le discours à l'aide de quelques exemples pris dans le Roi s'amuse, pièce exemplaire. Rappelons un certain nombre d'éléments indispensables: tout d'abord, dans tout discours dramatique, il y a de toute évidence deux sujets de renonciation, l'auteur d'une part, et de l'autre le sujet qui parle. Ensuite, au je qui parle s'oppose un tu (destinatairE) ou un il (réfèrent ou sujet de l'énoncé). Éliminant - au moins provisoirement - le sujet-auteur, nous emploierons le mot sujet uniquement dans le sens de sujet-qui parle. Pour éviter toute équivoque, nous préciserons avec soin le sens du mot sujet (dans le cas où il désignerait soit le sujet de la fable dramatique, comme nous l'avons entendu jusqu'à présent, soit le sujet grammatical de la propositioN). Toutes les fois où le mot sujet sera employé par nous sans autre détermination, il désignera le sujet-qui-parle (Saint-Vallier ou Triboulet en l'occurrencE). Le discours et les actants. Des discours que nous examinerons, l'un est un vrai discours adressé à un destinataire présent, c'est celui de Saint-Vallier au Roi. et l'autre est un monologue, c'est-à-dire un discours adressé au sujet qui le parle. Dans l'un et l'autre cas les deux questions premières qui se posent sont d'abord: Qui parle? et ensuite: À qui s'adresse ce Je qui parle. Le : Qui parle? est la question dont la réponse est plus difficile à établir dans le cas du discours hugolien, puisque tout discours chez Hugo - nous tâcherons de le montrer - est d'abord discours parlé pour assurer paradoxalement l'existence ou l'identité de celui qui parle, (où domine donc la fonction phatiquE). À la question : À qui? il y a toujours, dans toute ouvre dramatique, une double réponse : au destinataire-actant et aussi (ou d'aborD) au spectateur. Double réponse parallèle à celle qui détermine le double sujet. II se pose donc d'abord une question à qui interroge le discours du théâtre de Hugo : est-il celui qui parle à un public en utilisant la voix de son personnage? On l'en a accusé, et c'est un leitmotiv de la critique que ces propos : c'est Hugo qui parle à la place de ses personnages, et qui leur ôte impertinemment la parole pour s' « exprimer ■ à leur place. Nous verrons qu'il n'en est rien et qu'il est difficile de repérer l'indication de la voix du scripteur à l'intérieur de la voix de l'actant. Ce qui est capital, c'est la présence du destinataire-public. En effet, et c'est un élément du discours que l'on ne peut saisir grammaticalement, il se présente dans un contexte tel qu'il est entendu par un spectateur qui sait; il se superpose donc à un texte antérieur qui le confirme ou le détruit: ainsi il est impossible de lire le discours de Saint-Vallier en oubliant qu'il est entendu comme s'inscrivant dans le contexte du roi-qui-s'amuse, et de la frivolité sexuelle du roi séducteur. De même les grands discours de Triboulet à l'acte V (se. 1 et 2) perdent leur signification si nous ne les entendons pas en fonction du contexte de mort, qui en fait des discours de l'illusion. LES DISCOURS A. - Le discours de Saint-Vallier. Le discours de Saint-Vallier (I, 5) se présente comme un vrai discours tragique, où un personnage aristocratique en opposition politique avec le souverain s'adresse au roi, destinataire présent. Mais -trait déjà insolite - la fonction du discours est bizarrement gommée : le discours de Saint-Vallier au roi se caractérise par son absence d'» utilité dramaturgique ■ : Saint-Vallier ne demande rien, ne raconte rien à proprement parler, autrement dit le discours de Saint-Vallier ne répond à aucune des grandes fonctions du discours dramatique, ni la fonction référentielle, ni la fonction émotive, ni la fonction cona-tive. Ce discours est essentiellement poétique: on peut y voir le miroir . en abyme » de la structure de la fable entière ; en ce sens, obéissant à une fonction référentielle ■ indirecte », le discours de Saint-Vallier est comme la métaphore de la fable entière: le roi a séduit la fille du Père humilié (condamné ou bouffon, en tout cas marginal ou devenu teL), le Père est de ce fait ■ décapité-castré »; Il annonce le retour du Commandeur venu pour exercer sur le Roi le talion de la justice immanente. Si le discours de Saint-Vallier a une fonction dramaturgique, c'est celle d'annonce prophétique, analogue à celle du songe classique. Sa première caractéristique est d'être décroché par rapport au réfèrent. De là l'absence de présent (sauf dans un développement particulieR), l'ensemble du texte s'inscrivant dans le passé ou dans le futur, mais non dans le présent historique. Ainsi le sujet du discours se définit comme passé, comme non individuel et comme révolu (■ une race ancienne... le sang de Poitiers, noble depuis mille ans .). Il ne s'affirme comme je que par rapport au vous royal, et essentiellement dans la fonction phatique : ■ Vous, sire, écoutez-moi ■ (fonction renouvelée au v. 53 : ■ répondez, mon Seigneur ■ et au v. 69 ■ et vous m'écouterez .). L'affirmation du Je se fait dans tout le texte au niveau phonique 1 : les phonèmes s/v occupent une place absolument déterminante à la fois seuls et dans leur rapport : dès le premier vers, Saint-Vallier se nomme, si l'on peut dire, en s'écriant: . Vous, sire -, affirmant l'importance du nom; la signature phonique Saint-Vallier se retrouve en particulier aux v. 13 et 14, aux v. 73-74, et aux v. 87-88. On la voit redoublée dans le vers adressé à Triboulet: > Qui que tu sois, talet à langue de vipère. » Tout se passe comme si le moi, occulté par sa présence dans le passé et par la mutilation subie, ne se trouvait plus présent que sous une forme clandestine. Jusqu'au vers 12, le rapport s'établit entre le sujet parlant (le locuteuR) et le vous royal : je/vous-Je (Saint-VallieR)/vous (roI); Un curieux rapport phonique double Grève/grâce (roI) -rêve/race (Saint-VallieR) souligne, tout autant que le sémantisme de Grève, la décapitation de Saint-Vallier. Notons que jusqu'au v. 24, le rapport Saint-Vallier/père n'est pas explicité, et qu'aux v. 24 et 28, le mot père n'est pas exprimé en relation explicite avec le Je ; tout se passe comme si le caractère essentiel qui détermine le moi de Saint-Vallier était encore occulté ; il est présent au niveau sémantique dans les mots race et sang et au niveau phonique dans l'accumulation des phonèmes p/r. Le vous du roi dans le début du discours est à la fois le destinataire du message et l'objet de la bénédiction, le destinataire d'un cadeau (bénédiction, prièrE). La prière entre ici dans le cas général des prières hugoliennes qui sont des prières inverses ayant pour caractéristiques non seulement de n'être jamais exaucées, mais d'entraîner immédiatement une réponse dérisoire ou négative. Au v. 18 apparaît le troisième terme: au/edu locuteur s'oppose non seulement un tu/vous, mais un il (qui est en fait un ellE), nommé par son nom et son titre, tout au long, et non pas du tout par son rapport avec le sujet ; le troisième terme est en position d'objet par rapport au sujet grammatical qui est ici le vous. Le elle est, dans le deuxième mouvement du discours, récupéré en un tu, et c'est le vous précédent qui devient un il: cette démarche d'inversion indique le lien irréversible que le sujet établit entre le roi et Diane : les deux structures syntaxiques successives, excluant le sujet, s'inversent: Ainsi le sujet, dès avant la dénotation des v. 60 à 64, se fixe dans la solitude d'où il exclut le roi et Diane; entre le v. 13, nommant François de Valois, et le v. 18 nommant Diane de Poitiers, la signature s/v (Saint-VallieR) est présente comme une coupure '. Du vers 24 au vers 28, le sujet, absent aux niveaux grammatical et sémantique, réapparaît sous la forme père, et le je étant éliminé, on n'a plus dans renonciation que le rapport tu/il (il renvoyant au sujet qui parle (locuteuR); le je cesse du même coup d'être sujet (tonpère sous ses pieds, l'échafaud du pèrE). Dans un cas comme dans l'autre, ce qui importe, c'est la localisation du sujet et sa position humiliée : le sujet Saint-Vallier devient par renversement objet de la dérision, dans le temps même où il se parle en se valorisant comme père-, de là au niveau sémantique, le sous de sous ses pieds, et plus encore la présence parallèle des mots tréteau et bourreau, unissant par leur rapprochement à la rime (et leur similitude phonique.) les deux aspects du grotesque: la théâtralisation comique et l'horreur1. À partir des v. 29 intervient le sujet transcendental. Dieu, et l'opposition s'établit entre le nous (leje+ le RoI) et le vous de Dieu. Mais ce n'est qu'un passage destiné à préparer un discours d'où le Je est absent (relayé par le il de vieillarD). L'interrogation à Dieu ouvre non seulement sur le regard de Dieu, mais sur la parole de Dieu (■ qu'avez-vous dit? .), et à partir du v. 30, ce qui se fait entendre peut être la parole de Dieu; le v. 33 en particulier peut être entendu comme parole de Saint-Vallier, mais vu le renvoi du je au il (un vieillarD) au v. 34, il est plus juste de lire ici le locuteur Dieu désignant Saint-Vallier par les mots ce vieillard. Notons le lien, au niveau sémantique, entre cette séquence et la précédente : décapitation et défloration (ou castratioN) se révèlent comme identiques et opérant dans le même lieu ; de là l'identité lit-échafaud et l'ambiguïté du sang. Dans cette séquence (jusqu'au v. 42) l'ambiguïté du locuteur permet à Saint-Vallier de s'identifier à Dieu, de tenir le discours de la justice immanente, de la divine providence qui juge. Par la bouche de Saint-Vallier, c'est Dieu qui parle au roi, et nous rencontrons ici une forme assez fruste de ■ dialogisme », celle qui, occultant le sujet, le contraint à prêter sa voix au Je transcendental : le sujet disparaît, se niant nommément en tant que sujet virtuel de l'histoire (> étant de ceux du connétable ■). Saint-Vallier-Dieu parle au roi et il parle la transgression du roi (impie, dépasseR). Dieu/le Père condamne le roi, et l'on retrouve ici un lieu bien connu (à la fois lieu et mythe, développement rhétorique et récit cultureL), celui de la condamnation du puissant par le prophète - celui par la bouche duquel Dieu parle : la condamnation verbale du prophète annonce la condamnation historique, le mané-tbécel-pharès du festin de Baltazar. ce Noces et Festins contemporain que nous retrouvons perpétuellement sur notre route, condamnation par le Père qui préfigure le retour du Gammandeur. Le v. 42 rompt le discours de Dieu, brutalement, par la réponse du roi, dans la bouche de Saint-Vallier, mais ici le sémantisme (qui suppose la parole du roi') est contredit par la syntaxe: le je intervient à nouveau, et le texte retourne au système normal je/vous. Ici intervient, avec la plus grande clarté, la fonction conative dans le discours de supplication prononcé par Saint-Vallier à l'intention du destinataire-roi (SirE). Mais ce discours est affecté du si du rétrospectif: la parole de Saint-Vallier est bien la parole du sujet, mais c'est une autre parole, c'est une parole passée, définitivement abolie, et si l'on peut dire parole d'un mort, d'un décapité (y. 53). Tout le sémantisme de séquence conduit à identifier décapitation et castration (manque de l'honneuR): c'est le thème du manque, du raccourcissement1 (. pas de tête plutôt qu'une souillure au front! ■). On remarquera la reprise de l'opposition de la première séquence grâce/race, mimant phoniquement le raccourcissement3. Et c'est daas le rétrospectif du conditionnel que le sujet se récupère à la fois comme moi (mon cercueil, ma barbe, ma Diane, possédant sa mort, sa virilité, sa fillE) - et comme père (son pèrE), à la fois au niveau dénotatif et au niveau phonique (pur, prié, pour, pèrE). La séquence suivante marque le retour au présent, avec une pluie de négations par lesquelles le sujet s'affirme comme le sujet d'un manque radical : l'abaissement, la frustration de l'honneur apparaissent comme négation de la paternité, castration dans la descendance ; et c'est une assimilation qui préfigure ce que la fable développe: l'humiliation de Triboulet à la mort de sa fille. Enfin, à partir du v. 63, la séquence s'établit sur le rapport je/vous; le //étant projeté dans le futur sous la forme d'indéfinis (. un père, un frère, ou quelque époux ■): la fonction du discours du/ |
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Victor Hugo (1802 - 1885) |
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Portrait de Victor Hugo | |||||||||
Biographie / OuvresC'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature Chronologie1802 - Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris. Chronologie historique1848 Bibliographie sÉlective |
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