Victor Hugo |
N'importe, loin des forts dont l'aspect seul oppresse, Quand on peut s'enfoncer entre deux pans de rocs, Et, comme l'ours, l'isard et les puissants aurochs, Entrer dans l'âpreté des hautes solitudes, Le monde primitif reprend ses attitudes, Et, l'homme étant absent, dans l'arbre et le rocher On croit voir les profils d'infini s'ébaucher. Tout est sauvage, inculte, âpre, rauque ; on retrouve La montagne, meilleure avec son air de louve Qu'avec l'air scélérat et pensif qu'elle prend Quand elle prête au mal son gouffre et son torrent, S'associe aux fureurs que la guerre combine, Et devient des forfaits de l'homme concubine. Grands asiles ! le gave erre à plis écumants ; La sapinière prend dans les escarpements ; Les églises n'ont pas d'obscurité qui vaille Ce mystère où le temps, dur bûcheron, travaille ; Le pied humain n'entrant point là, ce charpentier Est à l'aise, et choisit dans le taillis entier ; On entend l'eau qui roule et la chute éloignée Des mélèzes qu'abat l'invisible cognée. L'homme est de trop ; souillé, triste, il est importun A la fleur, à l'azur, au rayon, au parfum ; C'est dans les monts, ceux-ci glaciers, ceux-là [fournaises, Qu'est le grand sanctuaire effrayant des genèses ; On sent que nul vivant ne doit voir à l'oil nu, Et de près, la façon dont s'y prend l'Inconnu, Et comment l'être fait de l'atome la chose ; La nuée entre l'ombre et l'homme s'interpose ; Si l'on prête l'oreille, on entend le tourment Des tempêtes, des rocs, des feux, de l'élément, La clameur du prodige en gésine, derrière Le brouillard, redoutable et tremblante barrière ; L'éclair à chaque instant déchire ce rideau. L'air gronde. Et l'on ne voit pas une goutte d'eau Qui dans ces lieux profonds et rudes s'assoupisse, Ayant, après l'orage, affaire au précipice ; Selon le plus ou moins de paresse du vent, Les nuages tardifs s'en vont comme en rêvant, Ou prennent le galop ainsi que des cavales ; Tout bourdonne, frémit, rugit ; par intervalles Un aigle, dans le bruit des écumes, des deux, Des vents, des bois, des flots, passe silencieux. L'aigle est le magnanime et sombre solitaire ; Il laisse les vautours s'entendre sur la terre, Les chouettes en cercle autour des morts s'asseoir, Les corbeaux se parler dans les plaines le soir ; Il se loge tout seul et songe dans son aire, S'approchant le plus près possible du tonnerre, Dédaigneux des complots et des rassemblements. Il plane immense et libre au seuil des firmaments, Dans les azurs, parmi les profondes nuées, Et ne fait rien à deux que ses petits. Huées De l'abîme, fracas des rocs, cris des torrents, Hurlements convulsifs des grands arbres souffrants, Chocs d'avalanches, l'aigle ignore ces murmures. Done, au printemps, réveil des rois ; trahisons mûres ; On parle, on va, l'on vient ; les guets-apens sont prêts ; Et les villes en bas, tremblantes, loin et près, Pansant leur vieille plaie, arrangeant leur décombre, Ecoutent tous ces pas des cyclopes de l'ombre. Eternelle terreur du faible et du petit ! Qu'est-ce qu'ils font là-haut, ces rois ? On se blottit, On regarde quel point de l'horizon s'allume, On entend le bruit sourd d'on ne sait quelle enclume, On guette ce qui vient, surgit, monte ou descend ; Chaque ville en son coin se cache, frémissant Des flammèches que l'air et la nuée apportent Dans ce jaillissement d'étincelles qui sortent Du rude atelier, plein des souffles de l'autan, Où l'on forge le sceptre énorme de Satan. |
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Victor Hugo (1802 - 1885) |
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Portrait de Victor Hugo | |||||||||
Biographie / OuvresC'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature Chronologie1802 - Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris. Chronologie historique1848 Bibliographie sÉlective |
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