Victor Hugo |
I Temps futurs! vision sublime! Les peuples sont hors de l'abîme. Le désert morne est traversé. Après les sables, la pelouse; El la terre est comme une épouse, Et l'homme est comme un fiancé! Dès à présent l'oil qui s'élève Voit distinctement ce beau rêve Qui sera le réel un jour; Car Dieu dénoûra toute chaîne, Car le passé s'appelle haine Et l'avenir se nomme amour ! Dès à présent dans nos misères Germe l'hymen des peuples frères; Volant sur nos sombres rameaux, Comme un frelon que l'aube éveille. Le progrès, ténébreuse abeille. Fait du bonheur avec nos maux. Oh! voyez! la nuit se dissipe. Sur le monde qui s'émancipe, Oubliant Césars et Capets, Et sur les nations nubiles. S'ouvrent dans l'azur, immobiles, Les vastes ailes de la paix! Ô libre France enfin surgie! Ô robe blanche après l'orgie! Ô triomphe après les douleurs! Le travail bruit dans les forges. Le ciel rit, et les rouges-gorges Chantent dans l'aubépine en rieurs! La rouille mord les hallebardes. De vos canons, de vos bombardes Il ne reste pas un morceau Qui soit assez grand, capitaines, Pour qu'on puisse prendre aux fontaines De quoi faire boire un oiseau. Les rancunes sont effacées; Tous les cours, toutes les pensées. Qu'anime le même dessein. Ne font plus qu'un faisceau superbe; Dieu prend pour lier cette gerbe La vieille corde du tocsin. Au fond des deux un point scintille. Regardez, il grandit, il brille. Il approche, énorme et vermeil. Ô République universelle, Tu n'es encor que l'étincelle, Demain tu seras le soleil ! II Fêtes dans les cités, fêtes dans les campagnes! Les deux n'ont plus d'enfers, les lois n'ont plus de bagnes. Où donc est l'échafaud? ce monstre a disparu. Tout renaît. Le bonheur de chacun est accru De la félicité des nations entières. Plus de soldats l'épée au poing, plus de frontières, Plus de lise, plus de glaive avant forme de croix. L'Europe en rougissant dit : - Quoi! j'avais des rois! Et l'Amérique dit : - Quoi! j'avais des esclaves! Science, art, poésie, ont dissous les entraves De tout le genre humain. Où sont les maux soufferts? Les libres pieds de l'homme ont oublié les fers. Tout l'univers n'est plus qu'une famille unie. Le saint labeur de tous se fond en harmonie; Et la société, qui d'hymnes retentit, Accueille avec transport l'effort du plus petit; L'omTage du plus humble au fond de sa chaumière Emeut l'immense peuple heureux dans la lumière; Toute l'humanité dans sa splendide ampleur Sent le don que lui fait le moindre travailleur; Ainsi les verts sapins, vainqueurs des avalanches. Les grands chênes, remplis de feuilles et de branches. Les vieux cèdres touffus, plus durs que le granit,. Quand la fauvette en mai vient y faire son nid. Tressaillent dans leur force et leur hauteur superbe. Tout joyeux qu'un oiseau leur apporte un brin d'herbe. Radieux avenir! essor universel! Épanouissement de l'homme sous le ciel! III Ô proscrits, hommes de l'épreuve. Mes compagnons vaillants et doux, Bien des fois, assis près du fleuve. J'ai chanté ce chant parmi vous; Bien des fois, quand vous m'entendîtes, Plusieurs m'ont dit : « Perds ton espoir. Nous serions des races maudites, Le ciel ne serait pas plus noir! « Que veut dire cette inclémence? Quoi! le juste a le châtiment! La vertu s'étonne et commence A regarder Dieu fixement. « Dieu se dérobe et nous échappe. Quoi donc! l'iniquité prévaut! Le crime, vovant où Dieu frappe, Rit d'un rire impie et dévot. « Nous ne comprenons pas ses voies. Comment ce Dieu des nations Fera-t-il sortir tant de joies De tant de désolations? « Ses desseins nous semblent contraires A l'espoir qui luit dans tes veux... » - Mais qui donc, ô proscrits, mes frères Comprend le grand mystérieux? Qui donc a traversé l'espace, La terre, l'eau, l'air et le feu. Et l'étendue où l'esprit passe? Qui donc peut dire : « J'ai vu Dieu! « J'ai vu Jéhova! je le nomme! Tout à l'heure il me réchauffait. Je sais comment il a fait l'homme, Comment il fait tout ce qu'il fait! « J'ai vu cette main inconnue Qui lâche en s'ouvrant l'âpre hiver. Et les tonnerres dans la nue. Et les tempêtes sur la mer, « Tendre et plover la nuit livide; Mettre une âme dans l'embryon; Appuver dans l'ombre du vide Le pôle du septentrion1; « Amener l'heure où tout arrive; Faire au banquet du roi fêté Entrer la mort, ce noir convive Qui vient sans qu'on l'ait invité; « Créer l'araignée et sa toile. Peindre la fleur, mûrir le fruit, Et, sans perdre une seule étoile. Mener tous les astres la nuit; « Arrêter la vague à la rive; Parfumer de roses l'été; Verser le temps comme mie eau rive Des urnes de l'éternité; « D'un souffle, avec ses feux sans nombre, Faire, dans toute sa hauteur. Frissonner le firmament sombre Comme la tente d'un pasteur; « Attacher les globes aux sphères Par mille invisibles liens... Toutes ces choses sont très claires. Je sais comment il fait! j'en viens! » Qui peut dire cela? personne. Nuit sur nos cours! nuit sur nos veux! L'homme est un vain clairon qui sonne. Dieu seul parle aux axes des cieux. IV Ne doutons pas! crovons! La fin, c'est lé mystère, Attendons. Des Nèrons comme de la panthère Dieu sait briser la dent. Dieu nous essaie, amis. Avons foi, soyons calmes. Et marchons. Ô désert! s'il fait croître des palmes, C'est dans ton sable ardent! Parce qu'il ne fait pas son oeuvre tout de suite, Qu'il livré Rome au prêtre et Jésus au jésuite. Et les bons au méchant, Nous désespérerions! de lui! du juste immense! Non! non! lui seul connaît le nom de la semence Qui germe dans son champ. Ne possède-t-il pas toute la certitude? Dieu ne remplit-il pas ce monde, notre étude, Du nadir au zénith? Notre sagesse auprès de la sienne est démence. Et n'est-ce pas à lui que la clarté commence. Et que l'ombre finit? Ne voit-il pas ramper les hvdres sur leurs ventres? Ne regarde-t-il pas jusqu'au fond de leurs antres Atlas et Pélion? Ne connaît-il pas l'heure où la cigogne émigré? Sait-il pas ton entrée et ta sortie, ô tigre, Et ton antre, ô lion? Hirondelle, réponds, aigle à l'aile sonore, Parle, avez-vous des nids que l'Eternel ignore? Ô cerf, quand l'as-tu fui? Renard, ne vois-tu pas ses veux dans la broussaille? Loup, quand tu sens la nuit une herbe qui tressaille, Ne dis-tu pas : c'est lui! Puisqu'il sait tout cela, puisqu'il peut toute chose. Que ses doigts font jaillir les effets de la cause Comme un novau d'un fruit. Puisqu'il peut mettre un ver dans les pommes de l'arbre. Et faire disperser les colonnes de marbre Par le vent de la nuit; Puisqu'il bat l'océan pareil au bceul qui beugle, . Puisqu'il est le vovant et que l'homme est l'aveugle. Puisqu'il est le milieu, Puisque son bras nous porte, et puisqu'il son passage La comète frissonne ainsi qu'en une cage Tremble une étoupe en feu; Puisque l'obscure nuit le connaît, puisque l'ombre Le voit, quand il lui plaît, sauver la nef qui sombre. Comment douterions-nous. Nous qui, fermes et purs, fiers dans nos agonies, Sommes debout devant toutes les tyrannies. Pour lui seul à genoux! D'ailleurs, pensons. Nos jours sont des jours d'amertume, Mais quand nous étendons les bras dans cette brume, Nous sentons une main; livre. Quand nous marchons, courbés, dans l'ombre du mar-Nous entendons quelqu'un derrière nous nous dire : C'est ici le chemin. O proscrits, l'avenir est aux peuples! Paix, gloire. Liberté, reviendront sur des chars de victoire Aux foudroyants essieux; Ce crime qui triomphe est fumée et mensonge, Voilà ce que je puis affirmer, moi qui songe L'ceil fixé sur les deux! Les césars sont plus fiers que les vagues marines, Mais Dieu dit : «Je mettrai ma boucle en leurs narines, Et dans leur bouche un mors. Et je les traînerai, qu'on cède ou bien qu'on lutte, Eux et leurs histrions et leurs joueurs de flûte, Dans l'ombre où sont les morts. » Dieu dit; et le granit que foulait leur semelle S'écroule, et les voilà disparus pêle-mêle Dans leurs prospérités! Aquilon! aquilon! qui viens battre nos portes. Oh! dis-nous, si c'est toi, souffle, qui les emportes, Où les as-tu jetés? V Bannis! bannis! bannis! c'est là la destinée. Ce qu'apporte le flux sera dans la journée Repris par le reflux. Les jours mauvais fuiront sans qu'on sache leur nombre. Et les peuples joyeux et se penchant sur l'ombre Diront : Cela n'est plus! Les temps heureux luiront, non pour la seule France, Mais pour tous. On verra dans cette délivrance. Funeste au seul passé. Toute l'humanité chanter, de fleurs couverte. Comme un maître qui rentre en sa maison déserte Dont on l'avait chassé. Les tyrans s'éteindront comme des météores. Et, comme s'il naissait de la nuit deux aurores Dans le même ciel bleu. Nous vous verrons sortir de ce goulfre où nous sommes. Mêlant vos deux rayons, fraternité des hommes, Paternité de Dieu! Oui, je vous le déclare, oui, je vous le répète. Car le clairon redit ce que dit la trompette. Tout sera paix et jour! Liberté! plus de serf et plus de prolétaire! 0 sourire d'en haut! ô du ciel pour la terre Majestueux amour! L'arbre saint du Progrès, autrefois chimérique. Croîtra, couvrant l'Europe et couvrant l'Amérique, Sur le passé détruit. Et, laissant Péther pur luire à travers ses branches, Le jour, apparaîtra plein de colombes blanches, Plein d'étoiles, la nuit. Et nous qui serons morts, morts dans l'exil peut-être. Martyrs saignants, pendant que les hommes, sans maître. Vivront, plus fiers, plus beaux, Sous ce grand arbre, amour des cieux qu'il avoisine, Nous nous réveillerons pour baiser sa racine Au fond de nos tombeaux! |
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Victor Hugo (1802 - 1885) |
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Portrait de Victor Hugo | |||||||||
Biographie / OuvresC'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature Chronologie1802 - Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris. Chronologie historique1848 Bibliographie sÉlective |
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