Victor Hugo |
Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle. Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle. J'aime le vrai soldat, effroi de Bélial; Son turban évasé rend son front plus sévère, Il baise avec respect la barbe de son père, Il voue à son vieux sabre un amour filial, Et porte un doliman, percé dans les mêlées De plus de coups, que n'a de taches étoilées La peau du tigre impérial. Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle. Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle. Un bouclier de cuivre à son bras sonne et luit. Rouge comme la lune au milieu d'une brume. Son cheval hennissant mâche un frein blanc d'écume; Un long sillon de poudre en sa course le suit. Quand il passe au galop sur le pavé sonore. On fait silence, on dit : C'est un cavalier maure ! Et chacun se retourne au bruit. Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle. Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle. Quand dix mille giaours1 viennent au son du cor. Il leur répond ; il vole, et d'un souffle farouche Fait jaillir la terreur du clairon qu'il embouche. Tue, et parmi les morts sent croître son essor. Rafraîchit dans leur sang son caftan écarlate. Et pousse son coursier qui se lasse, et le flatte Pour en égorger plus encor I Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle. Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle. J'aime, s'il est vainqueur, quand s'est tu le tambour, Qu'il ait sa belle esclave aux paupières arquées. Et, laissant les imans qui prêchent aux mosquées Boire du vin la nuit, qu'il en boive au grand jour; J'aime, après le combat, que sa voix enjouée Rie, et des cris de guerre encor tout enrouée, Chante les houris et l'amour! Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle, Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle. Qu'il soit grave, et rapide à venger un affront; Qu'il aime mieux savoir le jeu du cimeterre Que tout ce qu'à vieillir on apprend sur la terre; Qu'il ignore quel jour les soleils s'éteindront; Quand rouleront les mers sur les sables arides; Mais qu'il soit brave et jeune, et préfère à des rides Des cicatrices sur son front. Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle. Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle. Tel est, comparadgis, spahis, timariots1. Le vrai guerrier croyant! Mais celui qui se vante. Et qui tremble au moment de semer l'épouvante. Qui le dernier arrive aux camps impériaux. Qui, lorsque d'une ville on a forcé la porte, Ne fait pas, sous le poids du butin qu'il rapporte. Plier l'essieu des chariots; Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle. Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle. Celui qui d'une femme aime les entretiens; Celui qui ne sait pas dire dans une orgie Quelle est d'un beau cheval la généalogie; Qui cherche ailleurs qu'en soi force, amis et soutiens. Sur de soyeux divans se couche avec mollesse. Craint le soleil, sait lire, et par scrupule laisse Tout le vin de Chypre aux chrétiens; Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle. Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle. Celui-là, c'est un lâche, et non pas un guerrier. Ce n'est pas lui qu'on voit dans la bataille ardente Pousser un fier cheval à la housse pendante. Le sabre en main, debout sur le large étrier; Il n'est bon qu'à presser des talons une mule. En murmurant tout bas quelque vaine formule. Comme un prêtre qui va prier ! Ma dague d'un sang noir à mon côté ruisselle. Et ma hache est pendue à l'arçon de ma selle. |
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Victor Hugo (1802 - 1885) |
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Portrait de Victor Hugo | |||||||||
Biographie / OuvresC'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature Chronologie1802 - Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris. Chronologie historique1848 Bibliographie sÉlective |
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