Victor Hugo |
Ainsi, quand Mazeppa, qui rugit et qui pleure, A vu ses bras, ses pieds, ses flancs qu'un sabre effleure. Tous ses membres liés Sur un fougueux cheval, nourri d'herbes marines. Qui fume, et fait jaillir le feu de ses narines Et le feu de ses pieds; Quand il s'est dans ses noeuds roulé comme un reptile. Qu'il a bien réjoui de sa rage inutile Ses bourreaux tout joyeux, Et qu'il retombe enfin sur la croupe farouche, La sueur sur le front, l'écume dans la bouche. Et du sang dans les yeux. Un cri part; et soudain voilà que par la plaine Et l'homme et le cheval, emportés, hors d'haleine. Sur les sables mouvants, Seuls, emplissant de bruit un tourbillon de poudre Pareil au noir nuage où serpente la foudre, Volent avec les vents 1 Ils vont. Dans les vallons comme un orage ils passent. Comme ces ouragans qui dans les monts s'entassent. Comme un globe de feu; Puis déjà ne sont plus qu'un point noir dans la brume. Puis s'effacent dans l'air comme un flocon d'écume Au vaste océan bleu. Ils vont. L'espace est grand. Dans le désert immense. Dans l'horizon sans fin qui toujours recommence, Ils se plongent tous deux. Leur course comme un vol les emporte, et grands chênes. Villes et tours, monts noirs liés en longues chaînes, Tout chancelle autour d'eux. Et si l'infortuné, dont la tête se brise. Se débat, le cheval, qui devance la brise. D'un bond plus effrayé S'enfonce au désert vaste, aride, infranchissable. Qui devant eux s'étend, avec ses plis de sable. Comme un manteau rayé. Tout vacille et se peint de couleurs inconnues; Il voit courir les bois, courir les larges nues. Le vieux donjon détruit, Les monts dont un rayon baigne les intervalles; Il voit; et des troupeaux de fumantes cavales Le suivent à grand bruit! Et le ciel, où déjà les pas du soir s'allongent. Avec ses océans de nuages où plongent Des nuages encor. Et son soleil qui fend leurs vagues de sa proue. Sur son front ébloui tourne comme une roue De marbre aux veines d'or! Son oil s'égare et luit, sa chevelure traîne. Sa tête pend; son sang rougit la jaune arène. Les buissons épineux; Sur ses membres gonflés la corde se replie. Et comme un long serpent resserre et multiplie Sa morsure et ses nouds. Le cheval, qui ne sent ni le mors ni la selle, Toujours fait, et toujours son sang coule et ruisselle. Sa chair tombe en lambeaux; Hélas! voici déjà qu'aux cavales ardentes Qui le suivaient, dressant leurs crinières pendantes. Succèdent les corbeaux! Les corbeaux, le grand-duc à l'oil rond, qui s'effraie. L'aigle effaré des champs de bataille, et l'orfraie. Monstre au jour inconnu. Les obliques hiboux, et le grand vautour fauve Qui fouille au flanc des morts, où son col rouge et chauve Plonge comme un bras nu ! Tous viennent élargir la funèbre volée; Tous quittent pour le suivre et l'yeuse isolée Sa sauvage grandeur naîtra de son supplice. Un jour, des vieux hetmans il ceindra la pelisse. Grand à l'oil ébloui; Et quand il passera, ces peuples de la tente, Prosternés, enverront la fanfare éclatante Bondir autour de lui ! II Ainsi lorsqu'un mortel, sur qui son dieu s'étale, S'est vu lier vivant sur ta croupe fatale, Génie, ardent coursier. En vain il lutte, hélas ! tu bondis, tu l'emportes Hors du monde réel, dont tu brises les portes Avec tes pieds d'acier ! Tu franchis avec lui déserts, cimes chenues Des vieux monts, et les mers, et, par delà les nues. De sombres régions; Et mille impurs esprits que ta course réveille Autour du voyageur, insolente merveille. Pressent leurs légions I Il traverse d'un vol, sur tes ailes de flamme. Tous les champs du possible, et les mondes de l'âme; Boit au fleuve éternel; Dans la nuit orageuse ou la nuit étoilée, Sa chevelure, aux crins des comètes mêlée. Flamboie au front du ciel. Les six lunes d'Herschel, l'anneau du vieux Saturne, Le pôle, arrondissant une aurore nocturne Sur son front boréal, Il voit tout; et pour lui ton vol, que rien ne lasse. De ce monde sans borne à chaque instant déplace L'horizon idéal. Qui peut savoir, hormis les démons et les anges. Ce qu'il souffre à te suivre, et quels éclairs étranges A ses yeux reluiront, Comme il sera brûlé d'ardentes étincelles. Hélas I et dans la nuit combien de froides ailes Viendront battre son front? Il crie épouvanté, tu poursuis implacable. Pâle, épuisé, béant, sous ton vol qui l'accable Il ploie avec effroi; Chaque pas que tu fais semble creuser sa tombe. Enfin le terme arrive... il court, il vole, il tombe. Et se relève roi! |
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Victor Hugo (1802 - 1885) |
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Portrait de Victor Hugo | |||||||||
Biographie / OuvresC'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature Chronologie1802 - Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris. Chronologie historique1848 Bibliographie sÉlective |
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