Victor Hugo |
... Qu'importe le moment? qu'importe la saison? La brume peut cacher dans le blême horizon Les Saturnes et les Mercures ; La bise, conduisant la pluie aux crins épars, Dans les nuages lourds grondant de toutes parts Peut tordre des hydres obscures; Qu'importe? il va. Tout souffle est bon; simoun, La terre a disparu dans le puits sidéral, [mistral ! Il entre au mystère nocturne, Au-dessus de la grêle et de l'orage fou, Laissant le globe en bas dans l'ombre, on ne sait où, Sous le renversement de l'urne. Intrépide, il bondit sur les ondes du vent, Il se rue, aile ouverte et la proue en avant, Il monte, il monte, il monte encore, Au-delà de la zone où tout s'évanouit, Comme s'il s'en allait dans la profonde nuit A la poursuite de l'aurore! Calme, il monte où jamais nuage n'est monté ; Il plane à la hauteur de la sérénité, Devant la vision des sphères; Elles sont là, faisant le mystère éclatant, Chacune feu d'un gouffre, et toutes constatant Les énigmes par les lumières. Andromède étincelle, Orion resplendit; L'essaim prodigieux des Pléiades grandit ; Sirius ouvre son cratère; Arcturus, oiseau d'or, scintille dans son nid; Le Scorpion hideux fait cabrer au zénith Le poitrail bleu du Sagittaire. L'aéroscaphe voit, comme en face de lui, Là-haut, Aldébaran par Céphce ébloui, Persée, escarboucle des cimes, Le chariot polaire aux flamboyants essieux, Et, plus loin, la lueur lactée, ô sombres deux, La fourmilière des abîmes ! Vers l'apparition terrible des soleils, Il monte; dans l'horreur des espaces vermeils, Il s'oriente, ouvrant ses voiles ; On croirait, dans l'éther où de loin on l'entend, Que ce vaisseau puissant et superbe, en chantant, Part pour une de ces étoiles; Tant cette nef, rompant tous les terrestres nouds, Volant, et franchissant le ciel vertigineux, Rêve des blêmes Zoroastres, Comme effrénée au souffle insensé de la nuit, Se jette, plonge, enfonce et tombe et roule et fuit Dans le précipice des astres ! Où donc s'arrêtera l'homme séditieux? L'espace voit, d'un oil par moment soucieux, L'empreinte du talon de l'homme dans les nues; Il tient l'extrémité des choses inconnues ; Il épouse l'abîme à son argile uni; Le voilà maintenant marcheur de l'infini. Où s'arrêtera-t-il, le puissant réfractaire? Jusqu'à quelle distance ira-t-il de la terre? Jusqu'à quelle distance ira-t-il du destin? L'âpre Fatalité se perd dans le lointain ; Toute l'antique histoire affreuse et déformée Sur l'horizon nouveau fuit comme une fumée. Les temps sont venus. L'homme a pris possession De l'air, comme du flot la grèbe et l'alcyon. Devant nos rêves fiers, devant nos utopies Ayant des yeux croyants et des ailes impies, Devant tous nos efforts pensifs et haletants, L'obscurité sans fond fermait ses deux battants; Le vrai champ enfin s'offre aux puissantes algèbres ; L'homme vainqueur, tirant le verrou des ténèbres, Dédaigne l'océan, le vieil infini mort. La porte noire cède et s'entrebâille. Il sort! O profondeurs! faut-il encor l'appeler l'homme? L'homme est d'abord monté sur la bête de somme ; Puis sur le chariot que portent des essieux ; Puis sur la frêle barque au mât ambitieux ; Puis quand il a fallu vaincre recueil, la lame, L'onde et l'ouragan, l'homme est monté sur la flamme A présent l'immortel aspire à l'éternel; Il montait sur la mer, il monte sur le ciel. L'homme force le sphinx à lui tenir la lampe. Jeune, il jette le sac du vieil Adam qui rampe, Et part, et risque aux cieux, qu'éclaire son flambeau, Un pas semblable à ceux qu'on fait dans le tombeau; Et peut-être voici qu'enfin la traversée Effrayante, d'un astre à l'autre, est commencée ! Stupeur! se pourrait-il que l'homme s'élançât? O nuit! se pourrait-il que l'homme, ancien forçat, Que l'esprit humain, vieux reptile, Devînt ange et, brisant le carcan qui le mord, Fût soudain de plain-pied avec les cieux? La mort Va donc devenir inutile ! Oh! franchir l'éther! songe épouvantable et beau! Doubler le promontoire énorme du tombeau ! Qui sait? - toute aile est magnanime, L'homme est ailé, - peut-être, ô merveilleux retour! Un Christophe Colomb de l'ombre, quelque jour, Un Gama du cap de l'abîme, Un Jason de l'azur, depuis longtemps parti, De la terre oublié, par le ciel englouti, Tout à coup sur l'humaine rive Reparaîtra, monté sur cet alérion, Et, montrant Sirius, Allioth, Orion, Tout pâle, dira : J'en arrive ! Ciel ! ainsi, comme on voit aux voûtes des celliers Les noirceurs qu'en rôdant tracent les chandeliers, On pourrait, sous les bleus pilastres, Deviner qu'un enfant de la terre a passé, A ce que le flambeau de l'homme aurait laissé De fumée au plafond des astres!... |
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Victor Hugo (1802 - 1885) |
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Portrait de Victor Hugo | |||||||||
Biographie / OuvresC'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature Chronologie1802 - Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris. Chronologie historique1848 Bibliographie sÉlective |
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