Victor Hugo |
A présent que c'est lait, dans l'avilissement Arrangeons-nous chacun notre compartiment; Marchons d'un air auguste et fier; la honte est bue. Que toui à composer cène cour contribue. Tout, excepté l'honneur, tout, honnis les vertus. Faites vivre, anime/, envoyez vos fotus Et vos nains monstrueux, bocaux d'anatomie; Donne ton crocodile et donne ta momie, Vieille Egypte; donne/, tapis-francs2, vos filous; Shakspeare, ton Kalstalî; noires forêts, vos loups; Donne, ô bon Rabelais, ton Grandgousier qui mange; Donne ton diable, Hoffmann; Veuillot, donne ton ange3; Scapin, apporte-nous Géronte dans ton sac; Beaumarchais, prête-nous Bridoison; que Balzac Donne Vautrin; Dumas, la Carronte4; Voltaire, Son Frelon5 que l'argent fait parler et fait taire; Mabile6, les beautés de ton jardin «l'hiver; Le Sage, cède-nous Gil Blas; que Gulliver Donne tout Lilliput dont l'aigle est une mouche, Kt Scarron Bruscambille, et Callot Scaramouche7. Il nous faut un dévot dans ce tripot payen; Molière, donne-nous Montalembert. C'est bien. L'ombre à l'horreur s'accouple, et le mauvais au pire. Tacite, nous avons de quoi faire l'empire; Juenai, nous avons de quoi faire un sénat. II O Ducos le gascon, ô Rouhcr l'auvergnat. Et vous, juifs, Fould Shylock, Sibour Iscariote, Toi Parieu, toi Bertrand, horreur du patriote, Baudiart, bourreau douceâtre et proscripteur plaintif, Baroche, dont le nom n'est plus qu'un vomitif, O valets solennels, ô majestueux fourbes. Travaillant votre échine à produire des courbes. Bas, hautains, ravissant les Daumiers enchantés Par vos convexités et vos concavités, Convenez avec moi, vous tous qu'ici je nomme, Que Dieu dans sa sagesse a fait exprés cet homme Pour régner sur la France, ou bien sur Haïti1. Ht vous autres, créés pour grossir son parti. Philosophes gênés de cuissons à l'épaule2. Et vous, viveurs râpés, frais sortis de la geôle, Saluez l'être unique et providentiel. Ce gouvernement tombé d'une trappe du ciel, Ce césar moustachu, gardé par cent guérites, Qui sait apprécier les gens et les mérites, Et qui, prince admirable et grand homme en effet. Fait Poissy sénateur et Clichy sous-préfet. III Après quoi l'on ajuste au fait la théorie : « A bas les mots! à bas loi, liberté, patrie! Plus on s'aplatira, plus on prospérera. Jetons au lèu tribune et presse, et caetera. Depuis quatrevingt-neuf les nations sont ivres. Les faiseurs de discours et les faiseurs de livres Perdent tout; le poëte est un fou dangereux; Le progrès ment, le ciel est vide, l'art est creux. Le monde est mort. Le peuple:' un âne qui se cabre! La force, c'est le droit. Courbons-nous. Gloire au sabre! A bas les Washington! vivent les Attila! » On a des gens d'esprit pour soutenir cela. [flamme. Oui, qu'ils viennent tous ceux qui n'ont ni cour ni Qui boitent de l'honneur et qui louchent de l'âme; Oui, leur soleil se lève et leur messie est né. C'est décrété, c'est fait, c'est dit, c'est canonné; La France est mitraillée, escroquée et sauvée. Le hibou Trahison pond gaiment sa couvée. IV El partout le néant prévaut; pour déchirer Notre histoire, nos lois, nos droits, pour dévorer L'avenir de nos fils et les os de nos pères. Les bêtes de la nuit sortent de leurs repaires; Sophistes et soudards resserrent leur réseau; Les Radctzky flairant le gibet du museau. Les Giulay, poil tigré, les Buol. lace verte, Les Haynau, les Bomba, rôdent, la gueule ouverte, Autour du genre humain qui, pâle et garrotté, Lutte pour la justice et pour la vérité; Et de Paris A Pesth, du Tibre aux monts Carpathes, Sur nos débris sanglants rampent ces mille-pattes1. V Du lourd dictionnaire où Beauzée et Batteux Ont versé les trésors de leur bon sens goutteux. il faut, grâce aux vainqueurs, refaire chaque lettre. Àtne de l'homme, ils ont trouvé moyen de mettre Sur tes vieilles laideurs un tas de mots nouveaux, Leurs noms. L'hypocrisie aux yeux bas et dévots A nom Mcnjaud, et vend Jésus dans sa chapelle; On a débaptisé la honte, elle s'appelle Sibour; la trahison, Maupas; l'assassinat Sous le nom de Magnan est membre du Sénat; Quant à la lâcheté, c'est Hardouin qu'on la nomme; Riancey, c'est le mensonge, il arrive de Rome Et tient la vérité renfermée en son puits; La platitude a nom Montlaville-Chapuis; La prostitution, ingénue1, est princesse; La férocité, c'est Carrelet; la bassesse Signe Rouher, avec Delangle pour greffier. O muse, inscris ces noms. Veux-tu qualifier La justice vénale, atroce, abjecte et fausse' Commence à Partarieu pour finir par Lafosse*. J'appelle Saint-Arnaud, le meurtre dit : c'est moi. Et, pour tout compléter par le deuil et l'effroi. Le vieux calendrier remplace sur sa carte La Saint-Barthélémy par la Saint-Bonaparte. Quant au peuple, il admire et vote; on est suspect D en douter, et Paris écoute avec respect Sibour et ses sermons, Troplong et ses troplongues. Les deux Napoléon s'unissent en diphtongues. Et Berger entrelace en un chiffre hardi Le boulevard Montmartre entre Aréole et Lodi. Spartacus agonise en un bagne fétide; On chasse Thémistocle, on expulse Aristide3, On jette Daniel dans la fosse aux lions; Et maintenant ouvrons le ventre aux millions! Jersey. Novembre 1852. |
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Victor Hugo (1802 - 1885) |
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Portrait de Victor Hugo | |||||||||
Biographie / OuvresC'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature Chronologie1802 - Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris. Chronologie historique1848 Bibliographie sÉlective |
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