Victor Hugo |
I En ces temps-là, c'était une ville tombée Au pouvoir des anglais, maîtres des vastes mers, Qui, du canon battue et de terreur courbée. Disparaissait dans les éclairs. C'était une cité qu'ébranlait le tonnerre A l'heure où la nuit tombe, à l'heure où le jour naît, Qu'avait prise en sa griffe Albion, qu'en sa serre La République reprenait. Dans la rade couraient les frégates meurtries; Les pavillons pendaient troués par le boulet; Sur le front orageux des noires batteries La fumée à longs (lots roulait. On entendait gronder les forts, sauter les poudres; Le brûlot flamboyait sur la vague qui luit; Comme un astre effrayant qui se disperse en Ibudres, La bombe éclatait dans la nuit. Sombre histoire! Quels temps! Et quelle illustre page! Tout se mêlait, le mât coupé, le mur détruit, Les obus, le sifflet des maîtres d'équipage, Et l'ombre, et l'horreur, et le bruit. O France! tu couvrais alors toute la terre Du choc prodigieux de tes rébellions. Les rois lâchaient sur toi le tigre et la panthère, Et toi, tu lâchais les lions. Alors la République avait quatorze armées; On luttait sur les monts et sur les océans. Cent victoires jetaient au vent cent renommées. On voyait surgir les géants! Alors apparaissaient des aubes rayonnantes. Des inconnus, soudain éblouissant les yeux, Se dressaient, et faisaient aux trompettes sonnantes Dire leurs noms mystérieux. Ils faisaient de leurs jours de sublimes offrandes; Ils criaient : Liberté! guerre aux tyrans! mourons! Guerre! - et la gloire ouvrait ses ailes toutes grandes Au-dessus de ces jeunes fronts ! II Aujourd'hui c'est la ville où toute honte échoue. Là, quiconque est abject, horrible et malfaisant, Quiconque un jour plongea son honneur dans la boue. Noya son âme dans le sang. Là, le faux monnayeur pris la main sur sa forge, L'homme du faux serment et l'homme du faux poids, Le brigand qui s'embusque et qui saute à la gorge Des passants, la nuit, dans les bois. Là, quand l'heure a sonné, cette heure nécessaire. Toujours, quoi qu'il ait fait pour fuir, quoi qu'il ait dit. Le pirate hideux, le voleur, le faussaire, Le parricide, le bandit, Qu'il sorte d'un palais ou qu'il sorte d'un bouge. Vient, et trouve une main, froide comme un verrou, Qui sur le dos lui jette une casaque rouge. Et lui met un carcan au cou. L'aurore luit, pour eux sombre et pour nous vermeille. Allons! debout! Ils vont vers le sombre océan. Il semble que leur chaîne avec eux se réveille. Et dit : me voilà; viens-nous-en! Ils marchent, au marteau présentant leurs manilles, A leur chaîne cloués, mêlant leurs pas bruyants. Traînant leur pourpre infâme en hideuses guenilles, Humbles, furieux, effrayants. Les pieds nus, leur bonnet baissé sur leurs paupières. Dès l'aube harassés, l'oil mort, les membres lourds, Ils travaillent, creusant des rocs, roulant des pierres, Sans trêve, hier, demain, toujours. Pluie ou soleil, hiver, été, que juin flamboie, Que janvier pleure, ils vont, leur destin s'accomplit, Avec le souvenir de leurs crimes pour joie, Avec une planche pour lit. Le soir, comme un troupeau l'argousin vil les compte. Ils montent deux à deux l'escalier du ponton, Brisés, vaincus, le cour incliné sous la honte, Le dos courbé sous le bâton. La pensée implacable habite encor leurs têtes. Morts vivants, aux labeurs voués, marqués au front, Ils rampent, recevant le fouet comme des bêtes. Et comme des hommes l'affront. Ville que l'infamie et la gloire ensemencent. Où du forçat pensif le fer tond les cheveux, O Toulon ! c'est par toi que les oncles commencent, Et que finissent les neveux! Va, maudit! ce boulet que, dans des temps stoïques Le grand soldat, sur qui ton opprobre s'assied, Mettait dans les canons de ses mains héroïques, Tu le traîneras à ton pied! Écrit en arrivant à Bruxelles, 12 décembre 1851. III Approchez-vous. Ceci, c'est le tas des dévots'. Cela hurle en grinçant un benedicat vos; C'est laid, c'est vieux, c'est noir. Cela fait des gazettes. Pérès fouetteurs du siècle, à grands coups de garcettes Ils nous mènent au ciel. Ils font, blêmes grimauds. De l'âme et de Jésus des querelles de mots Comme à Byzance au temps des Jeans et des Eudoxes2. Méfions-nous; ce sont des gredins orthodoxes. Ils auraient fait pousser des cris à Juvénal. La douairière aux yeux gris s'ébat sur leur journal Comme sur les marais la grue et la bécasse. Ils citent Poquelin, Pascal, Rousseau, Boccace, Voltaire, Diderot, l'aigle au vol inégal3. Devant l'official et le théologal*. L'esprit étant gênant, ces saints le congédient. Ils mettent Escobar sous bande et l'expédient Aux bedeaux rayonnants, pour quatre francs par mois. Avec le vieux savon des jésuites sournois Ils lavent notre époque incrédule et pensive, Et le bûcher fournit sa cendre à leur lessive. Leur gazette, où les mots de venin sont verdis. Est la seule qui soit reçue au paradis. Ils sont, là, tout-puissants; et tandis que leur bande Prêche ici-bas la dîme et défend la prébende, Ils font chez Jéhovah la pluie et le beau temps. L'ange au glaive de feu leur ouvre à deux battants La porte bienheureuse, effrayante et vermeille; Tous les malins, à l'heure où l'oiseau se réveille. Quand l'aube, se dressant au bord du ciel profond. Rougit en regardant ce que les hommes font Et que des pleurs de honte emplissent sa paupière, Gais, ils grimpent là-haut, et, cognant chez saint-Pierre, Jettent à ce portier leur journal impudent. Ils écrivent à Dieu comme à leur intendant, Critiquant, gourmandant, et lui demandant compte Des révolutions, des vents, du flot qui monte. De l'astre au pur regard qu'ils voudraient voir loucher, De ce qu'il fait tourner notre terre et marcher Notre esprit, et, d'un timbre ornant l'eucharistie. Ils cachettent leur lettre immonde avec l'hostie. Jamais marquis, voyant son carrosse broncher. N'a plus superbement tutoyé son cocher; Si bien que, ne sachant comment mener le monde, Ce pauvre vieux bon Dieu, sur qui leur foudre gronde. Tremblant, cherchant un trou dans ses cieux éclatants, Ne saii où se fourrer quand ils sont mécontents. Ils ont supprimé Rome; ils auraient détruit Sparte. Ces drôles sont charmés de monsieur Bonaparte. Bruxelles. Janvier 1852. |
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Victor Hugo (1802 - 1885) |
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Portrait de Victor Hugo | |||||||||
Biographie / OuvresC'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature Chronologie1802 - Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris. Chronologie historique1848 Bibliographie sÉlective |
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