Victor Hugo |
On doit peut-être à une enfance napoléonienne l'atmosphère de bataille et de conquête qui entoure cette vie : le père de Hugo est un des nombreux généraux qui parcourent les marches de l'Empire ; mais une mère « vendéenne » crée une première contradiction personnelle autant qu'historique. On notera aussi la présence de deux frères, avec notamment Eugène, né deux ans avant Victor, et dont la folie se déclarera lors du mariage de son cadet. Leur enfance à tous deux se déroule aux quatre coins de l'Europe avant le retour à Paris, au merveilleux jardin des Feuillantines, mais aussi à la pension ! Pendant ce temps, l'enfant sublime grandit et ses premiers essais poétiques sont primés par l'Académie et les Jeux floraux de Toulouse : celui qui veut « être Chateaubriand ou rien » est un jeune homme ultra dont les options apparaissent clairement dès le titre du Conservateur littéraire qu'il vient de fonder. Pensionné par le roi, bientôt marié (avec Adèle FoucheR) et père, il se fait connaître avec des Odes et Poésies diverses (1822) très bien-pensantes : assez loin des audaces de Bug-Jargal (1820, remanié en 1826) et des frénétismes de Han d'Islande (1823), il y a là une veine poétique qui se poursuit avec les Odes et Ballades (1826 et 1828) où les novations littéraires, encore assez timides, font bon ménage avec le conformisme politique. Mais l'opposition (s'il y en a unE) se résout progressivement : devant la disparition de la Muse française (1823-1824), créée avec Soumet, devant la mise à l'écart de Chateaubriand par Villèle en 1824, Hugo vire au libéralisme et en vient à admirer la gloire de l'Empereur disparu (l'ode « À la colonne de la place Vendôme », 1827) ; plus tard, il ira nettement plus loin avec le Dernier Jour d'un condamné (1829), Claude Gueux (1834) et l'ébauche (1845) des futurs Misérables : la liberté, le peuple se substitueront alors au roi dans sa mythologie politique personnelle. Pour l'instant, cependant, Hugo est surtout le stratège et l'âme du romantisme, le centre du groupe qui se constitue chez Nodier, à l'Arsenal, puis chez lui-même, en son cénacle de la rue Notre-Dame-des-Champs. Un manifeste vient bientôt avec la Préface de Cromwell (1827) : porte-drapeau de la modernité littéraire, le drame doit combiner deux genres, le sublime et le grotesque, s'affranchir des règles dépassées de la tragédie classique et trouver un vers plus souple, une musique moins monotone. En effet, après les poèmes des Orientales (1829), c'est autour de l'ouvre dramatique que va se cristalliser la polémique : très abondante, jugée parfois injouable, elle est pourtant une des clés de la création hugolienne dans son ensemble, avec des thèmes, des formes, une philosophie, une politique même qu'on retrouvera ailleurs, et qui, au début du moins s'imposent difficilement. Un duel sous Richelieu (1829) qui deviendra Marion de Lorme (1831), par exemple, est d'abord interdit, puis Hernani est représenté en 1830, avec la « bataille » que l'on sait entre les chauves « genoux » classiques et leurs jeunes adversaires ; plus tard, il y aura Le roi s'amuse (1832), une fois encore interdit, Lucrèce Borgia et Marie Tudor (les deux en 1833) avant Angelo, tyran de Padoue (1835) : à chaque fois, l'histoire est mise en scène, mais le roman est aussi capable de ces évocations (Notre-Dame de Paris, 1831) comme le voyage permet d'en retrouver la magie (le Rhin, 1842). Le génie des formes La virtuosité a mauvaise réputation. On y voit le signe d'un artiste sans âme, d'un technicien habile, mais dépourvu de génie et de sincérité. Chez Hugo, elle est plutôt l'éclat extérieur d'une maîtrise qui a d'autres dimensions. Il est vrai qu'au début on sent encore l'écolier appliqué qui fait ses gammes sur le bonheur que procure l'étude dans toutes les situations de la vie (1817) ou les avantages de l'enseignement mutuel (1819) ! Mais l'exercice perd assez vite ce caractère gratuit, en même temps que disparaissent les quelques imperfections du débutant. Dès les Odes et Ballades, à plus forte raison avec les recueils postérieurs, on est frappé par la diversité des formes et des thèmes, surtout compte tenu de la pâleur de la production poétique contemporaine : prose et vers, odes, ballades, théâtre, roman, rythmes et rimes dans leur multiplicité, tout y passe. Le tour de force des « Djinns » dans les Orientales (des strophes constituées de vers croissant puis décroissant en nombre de syllabeS) illustre par exemple une curiosité formelle qui se manifestera aussi dans le nouveau vers dramatique : « prenant comme Protée mille formes sans changer de type et de caractère, fuyant la tirade, se jouant dans le dialogue », il devra être capable de tout recevoir et de « tout transmettre aux spectateurs : français, latin, texte de lois, jurons royaux, locutions populaires, comédie, tragédie, rire, larmes, prose et poésie » (Préface de Crom-welL). Mais l'innovation tous azimuts, euphorique et boulimique, n'exclut pas l'héritage : la ballade, par exemple, peut apporter avec elle une mémoire de sujets et d'images, un souvenir de la Pléiade, une connotation de germanité ancienne, plus largement tout un passé légendaire que la formule suscite autant qu'elle l'accepte. Inversement, tout peut partir d'un sujet que des formes diverses vont multiplier de mille variations : l'Orient des Orientales vient ainsi des lectures de Hugo (le folklore grec, le Romancero espagnol, les traductions de l'arabe, Goethe, Byron, ChateaubrianD)... ; mais des strophes et des rythmes variés vont élargir le thème, déjà très riche, et lui donner une couleur pleinement hugolienne, plurielle et unie à la fois. Car il n'y a pas une matière propre à Hugo, une forme favorite ; il se les approprie toutes, et sans que disparaisse une personnalité esthétique qu'il faut définir. Invitation au voyage Un premier point peut apparaître comme un paradoxe : cet homme si présent en son temps, cet artiste qui veut imaginer en poésie un renouvellement des principes venant rejoindre le grand mouvement de l'histoire, ce poète « moderne » cherche dans des ailleurs multiples de quoi nourrir son imagination. L'Orient et le Moyen Age sont ainsi deux pôles majeurs ; un Orient, on s'en doute, onirique et mythique beaucoup plus que réel et qui put même accueillir des visions de soleil couchant sur Grenelle ! Curieux Orient banlieusard, grec ou espagnol : l'Espagne, à elle seule, des visions d'enfant jusqu'à Hernani ou Ruy Blas, mériterait une étude. Mais cet Orient, imprécis et multiple, n'est pas une réalité géographique, c'est surtout un embrayeur de rêverie, une autre vie : L'Orient, l'Orient ! qu'y voyez-vous, poètes ? Prélude des Chants du crépuscule. Même effet avec le Moyen Age, passé enfoui, refoulé par un classicisme plus inspiré par l'Antiquité, un temps médiéval profondément chrétien, savoureux, vaste, passionné, riche en grands hommes, propice aux visions : de « la Fiancée du timbalier » {Odes et BalladeS) aux Burgraves en passant par les somptuosités gothiques de Notre-Dame de Paris, Hugo rêve là encore d'un exotisme irréductible : la constante est bien ce voyage mental qu'illustre aussi la présence familière d'une autre réalité venant croiser et élargir le monde habituel : déjà, dans les Odes et Ballades, « la Ronde du sabbat » évoque « les larves, les dragons, les vampires, les gnomes », sans oublier les sorcières et les nécromants ; mais on trouverait aussi dans Notre-Dame de Paris les innombrables créatures sculptées de la cathédrale, tarasques, gargouilles, toute une série infinie de démons frénétiques qui pourraient être quelque peu orientaux (cf. « les Djinns », encore eux !). Cette conjonction d'Orient, de Moyen Age et de fantastique n'est pas fortuite et elle relève, au-delà d'Hugo, d'une problématique romantique de la rupture et de l'altérité : Anglais et Allemands ont souvent traité de cette « autre » réalité, de ces autres pays, de ces autres temps sans doute préférables aux nôtres, en tout cas plus beaux. Mais ces thèmes sont pour Hugo plus qu'une mode ; il n'est pas un épigone de Byron ou de Walter Scott, il a « son » Orient, « son » Moyen Age, dessinés dans son style avec une acuité particulière. On le voit bien lorsque la Préface de Cronmeil oppose le caractéristique à la fade~côulë"ïîr locale et au commun. Ni superficiel ni plat, le vrai poète choisit dans les temps et les lieux le trait le plus saillant, le plus individuel, le plus précis. Et tout cela ne débouche sur on ne sait quel réalisme avant la lettre, mais sur un art conscient de ses moyens, et qui, comme le dit Hugo à propos du vers, « communique son relief à des choses qui, sans lui, passeraient insignifiantes et vulgaires ». Non pas l'Orient des touristes, encore qu'il puisse y avoir un tourisme poétique (le RhiN), non pas le Moyen Age des historiens sans âme (mais les vrais historiens sont poètes !) : tout cela n'existe que pour produire quelques visions intenses, frappantes. Un espace habité Soucieux d'aventures et de visions, le poète rencontre vite un certain nombre de forces et de présences : il y a dans l'espace, et dans le temps, des entités puissantes que les mythes nous ont appris à connaître et qui ont nom la terre, l'eau, le vent, les éléments naturels, les horizons, les saisons, les continents, les étoiles. Car la poésie de Hugo aborde tous les sujets, et particulièrement les grands sujets. Baudelaire remarquait déjà que « l'excessif, l'immense, sont le domaine naturel de Victor Hugo » : on y découvre souvent une esthétique du colossal qui prend le risque du mauvais goût ou de l'outrance. Les vents y sont toujours prodigieux, les rocs monstrueux, l'océan infini et tout-puissant : l'adjectif, le superlatif, parfois la majuscule ou le nom propre bien pittoresque sont là pour composer un tableau titanesque où pourront vivre des créatures hors des normes.'Quasimodo habite ainsi la forêt de pierre de sa cathédrale, Bonaparte a joué avec les Pyramides avant de bouleverser l'Europe en un puzzle disloqué. Par rapport à une esthétique de la mesure que le classicisme pouvait recommander, et parce que, peut-être, les temps eux-mêmes sont « grands »,/Hugo prend le parti du grand et du grandiose ; c'est dans une rêverie sur l'immensité ou la suite des siècles que pourra s'épanouir la notation la plus intime. Et cela tient au fait que la voix qui dit « je » n'est pas étrangère au macrocosme qui, à son tour, semble comme un orchestre répondant à l'appel d'un instrument concertant. Vaste musique, on le voit, et où tout se répond dans une sorte d'analogie universelle. Entre mille exemples, on peut citer « Dicté en présence du glacier du Rhône » (les Feuilles d'automnE) : la dernière strophe y montre les pensées du poète allant au gré du divin souffle, ainsi que les vagues du glacier . Elles montent toujours vers le ciel, et sans cesse Redescendent des cieux aux mers. Aucune pose dans ces larges visions : il y a seulement dans le monde un grand langage où chaque objet peut laisser sourdre une parabole. En définitive, la grandeur, ici, est moins dans les réalités physiques que dans l'ordre qui les associe, dans la pensée enthousiaste qui les saisit, dans le discours implicite que l'artiste perçoit, dans les métamorphoses du réel qui trahissent sans doute une présence sacrée. Albert Durer (cf. les Voix intérieureS) décèle ainsi dans les taillis les plus noirs Le faune aux doigts palmés, le sylvain aux yeux verts et Hugo le rejoint pour découvrir des pensées dans tout ce qui est : dans un brin d'herbe comme dans le cerveau débile de Quasimodo, on peut trouver une harmonie, la trace d'une âme ; l'espace entier est habité et il importe au poète de lui donner la parole. Les siècles et leur légende Si l'espace entier est fondé par la parole du poète, le même échange est à l'ouvre dans l'histoire, dans l'évocation d'un passé très présent./En dehors même du Moyen Âge, Hugo cherche la couleur des temps, traverse les époques et les annexe : le monde biblique, celui d'Homère, des Romains, plus tard les visions brillantes et cruelles de la Renaissance, le siècle de Louis XIV - et bien sûr l'histoire proche, encore chaude, celle de la Révolution et de l'Empire que son père a vécue, qu'Hugo lui-même a pu connaîtrez, A l'évidence, la tâche qu'il se donne n'est pas de retrouver une vérité historique, encore moins de conserver une tradition ; plutôt d'inventer, avant même le recueil qui portera ce nom, une légende des siècles qui vient en parallèle de la méditation cosmique. On y retrouvera ces grandes figures et ces grands événements qui synthétisent une époque : par exemple une bataille épique, ou le souvenir de ces poètes de l'histoire que furent les grands capitaines, visionnaires à leur manière. Ils ont rêvé, eux aussi, de quelque chose qui pourrait exister, et, de la même façon, la plume comme l'épée modèlent l'avenir. Car la littérature est bien pour Hugo le moyen de rendre présent ce qui paraissait mort, de lui donner aussi un avenir dans la mémoire des hommes. Peu importe alors que l'idéologie varie, que Napoléon le despote devienne le surhomme qui fera honte à Napoléon le Petit : l'essentiel est que le poète fabrique le mythe et donne donc aux hommes la conscience de ce qu'ils sont ; en ce sens, on comprend que le poète puisse conduire les peuples, être leur porte-parole inspiré. Ainsi, en 1830, les « aiglons » révolutionnaires succèdent à l'aigle de la Grande Armée, et la liberté rejoint la gloire napoléonienne en un syncrétisme politique qui ne semblait pas contradictoire à l'époque : La France, guerrière et paisible, A deux filles du même sang : L'une fait l'armée invincible, L'autre fait le peuple puissant. « A la colonne de la place Vendôme. » Gloire et liberté, l'histoire selon Hugo est bien faite d'idées et de valeurs : ces deux-là, dans leur équilibre, sont l'antithèse brillante de cette médiocrité grise qui risque de dominer le présent. Le Verbe fondateur Le monde selon Hugo s'organise en effet dans les cadres de certaines techniques, de certains moyens rhétoriques. Et l'une de ces figures favorites est justement l'antithèse où deux aspects des choses se valorisent l'un l'autre : passé et présent, drame et comédie, sublime et grotesque, ombres et soleils, homme et nature. L'univers est binaire, et il faut penser ici au dessinateur que fut aussi Hugo, jouant sur une surface des noirs et des blancs, des nuits et des lueurs, avec ces burgs noirâtres se détachant sur de pâles clartés, ces fins minarets aux arrière-plans brumeux. De façon plus littéraire, l'antithèse, parfois l'oxymore, propose une symétrie et des balancements dont vit la poésie de Hugo, sur un plan grammatical : Rome remplace Sparte, Napoléon perce sous Bonaparte... C'est ainsi que la rhétorique devient vision. De même la comparaison hugolienne, comme chez Homère, peut développer longuement chaque terme avant de les confronter dans leurs métamorphoses ; ou alors, au contraire, on aura une confrontation brusque, une image brève, un adjectif inattendu et qui fait voir. On sait aussi que le point de départ d'une ouvre plastique peut être une forme contingente, un mot, une ligne, dont il faudra tirer parti en la transformant : Hugo le fit avec de l'encre de Chine et c'est un peu le même procédé qui lui fait entendre l'hymne des orages ou voir des crocodiles dans les nuées. Mais ce surréalisme latent repose encore une fois sur une rhétorique solide qui, dans l'euphorie, orchestre l'hyperbole ou polit l'antithèse, dramatise le poème par une exclamation ou poétise le drame par l'image ou le mot rare. Peut-être faut-il voir alors dans le langage le héros hugolien par excellence, riche et fort de tous ces mots qu'un dictionnaire sans exclusive, à « bonnet rouge », peut révéler. C'est dans les mots que les réalités prennent leur existence, que le poète-écho se sent exister au monde. Il y aurait donc toute une théologie du verbe, perceptible déjà dans un certain ton biblique utilisé (anaphores, hyperboles, énumérations développéeS). Dans l'importance aussi de la parole dramatisée du théâtre et dans la fréquence du thème vocal ; les Voix intérieures après les Chants du crépuscule : l'idée revient souvent d'une vaste universalité signifiante et musicale que le poète aurait à déchiffrer, mais qu'il porte aussi en lui : Car le mot, c'est le Verbe, et le Verbe, c'est Dieu. Les Contemplations « Suite » de « Réponse à un acte d'accusation ». |
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Victor Hugo (1802 - 1885) |
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Portrait de Victor Hugo | |||||||||
Biographie / OuvresC'est Hugo qui, sans doute, a le mieux incarné le romantisme: son goût pour la nature, pour l'exotisme, ses postures orgueilleuses, son rôle d'exilé, sa conception du poète comme prophète, tout cela fait de l'auteur des Misérables l'un des romantiques les plus purs et les plus puissants qui soient. La force de son inspiration s'est exprimée par le vocabulaire le plus vaste de toute la littérature Chronologie1802 - Naissance le 26 Février à Besançon. Il est le troisième fils du capitaine Léopold Hugo et de Sophie Trébuchet. Suivant les affectations du père, nommé général et comte d'Empire en 1809, la famille Hugo s'établit en Italie, en Espagne, puis à Paris. Chronologie historique1848 Bibliographie sÉlective |
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