Yves Bonnefoy |
Branche que je ramasse à l'orée des bois Mais pour t'abandonner à la fin du monde, Cachée parmi des pierres, dans l'abri Où commence invisible l'autre chemin (Car tout instant terrestre est un carrefour Où, quand l'été s'achève, va notre ombre Vers son autre pays dans les mêmes arbres, Et rarement est-on venu reprendre Une autre année la branche dont on courbe Tout un été, distraitement, les herbes), Branche, je pense à toi maintenant qu'il neige, Je te vois resserrée sur le non-sens Des quelques nouds du bois, là où l'écorce S'écaille, au gonflement de tes forces sombres, Et je reviens, une ombre sur le sol blanc, Vers ton sommeil qui hante ma mémoire, Je te prends à ton rêve qui s'éparpille, N'étant que d'eau pénétrée de lumière. Puis je vais là où je sais que la terre Se dérobe d'un coup, parmi les arbres, Et je te jette aussi loin que je peux, Je t'écoute qui rebondit de pierre en pierre. (Non, je te veux Tout un moment encore. Je vais, je prends Le troisième chemin, que je voyais Se perdre dans les herbes, sans que je sache Pourquoi je n'entrais pas dans ses fourrés Certes sombres, certes sans voix d'oiseaux dans les feuillages. Je vais, je suis bientôt dans une maison Où j'ai vécu jadis mais dont la voie S'était perdue comme, quand la vie passe, Des mots sont dits, sans qu'on s'en aperçoive, Pour la dernière fois dans l'éternel. Un feu brûle, dans une de ses salles toujours désertes, Je l'écoute qui cherche dans le miroir Des braises le rameau de la lumière, Ainsi le dieu qui croit qu'il va créer L'esprit, la vie, dans la nuit dont les nouds Sont serrés, infinis, labyrinthiques. Puis je te pose, doucement, sur le lit des flammes, Je te vois qui t'embrase dans ton sommeil, Je suis penché, je tiens longtemps encore Ta main, qui est l'enfance qui s'achève.) |
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Yves Bonnefoy (1923 - ?) |
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