Yves Bonnefoy |
Je «rie. Regarde, La lumière Vivait là, près de nous ! Ici, sa provision D'eau, encore transfigurée. Ici le bois Dans la remise. Ici, les quelques fruits A sécher dans les vibrations du ciel de l'aube. Rien n'a changé. Ce sont les mêmes lieux et les mêmes choses. Presque les mêmes mots, Mais. vois, en toi. en moi L'indivis, l'invisible se rassemblent. Lt elle ! n'est-ce pas Elle qui sourit là (« Moi la lumière, Oui, je consens ») dans la certitude du seuil, Penchée, guidant les pas D'on dirait un soleil enfant sur une eau obscure. Je crie. Regarde, L'amandier Se couvre brusquement de milliers de fleurs. Ici Le noueux, l'a jamais terrestre, le déchiré Entre au port. Moi la nuit Je ronsens. Moi l'amandier J'entre paré dans la chambre nuptiale. Et, vois, des mains De plus haut dans le ciel Prennent Comme passe une ondée, dans chaque fleur, La part impérissable de la vie. Elles divisent l'amande Avec paix. Elles touchent, elles prélèvent le germe. Elles l'emportent, grainée déjà D'autres mondes. Dans l'a jamais de la fleur éphémère. O flamme Qui consumant célèbres. Cendre Qui dispersant recueilles. Flamme, oui, qui effaces De la table sacrificielle de l'été La fièvre, les sursauts De la main crispée. Flamme, pour que la pierre du ciel clair Soit lavée de notre ombre, et que ce soit Un dieu enfant qui joue Dans l'âcreté de la sève. Je me penche sur toi, je rassemble, à genoux, Flamme qui vas. L'impatience, l'ardeur, le deuil, la solitude Dans ta fumée. Je me penche sur toi, aube, je prends Dans mes mains ton visage. Qu'il fait beau Sur notre lit désert ! Je sacrifie Et tu es la résurrection de ce que je brûle. Flamme Notre chambre de l'autre année, mystérieuse Comme la proue d'une barque qui passe. Flamme le verre Sur la table de la cuisine abandonnée, AV. Dans les gravats. Flamme, de salle en salle. Le plâtre. Toute une indifférence, illuminée. Flamme l'ampoule Où manquait Dieu Au-dessus de la porte de l'étable. Flamme La vigne de l'éclair. là-bas. Dans le piétinement des bêtes qui révent Flamme la pierre Où le couteau du rêve a tant ouvré. Flamme, Dans la paix de la flamme. L'agneau du sacrifice gardé sauf. Et. tard, je crie Des mots que le feu accepte. Je crie. Regarde. Ici a déposé un sel inconnu. Je crie. Regarde. Ta conscience n'est pas en toi. L'amont de ton regard N'est pas en toi. Ta souffrance n'est pas en toi, ta joie moins encore. Je crie. Écoute, Une musique a cessé. Partout, dans ce qui est. Le vent se lève et dénoue. Aujourd'hui la distance entre les mailles Existe plus que les mailles. Nous jetons un filet qui ne retient pas. Achever, ordonner. Nous ne le savons plus. Entre l'oil qui s'accroît et le mot plus vrai Se déchire la taie de l'achevable. O ratures, ô rouilles Où la trace de l'eau, celle du sens Se résorbant s'illimitent, Dieu, paroi nue Où l'érosion, l'entaille Ont même aspect désert au liane du monde. Comme il est tard ! On voit un dieu pousser quelque chose comme Une barque vers un rivage mais tout change. Ellbndrements sur la route des hommes. Piétinements, clameurs au bas du ciel. Ici Tailleurs étreint La main ouvrante Mais quand elle dévie dans le trait obscur, C'est comme une aube. Regarde, Ici, sur la lande du sens, A quelques mètres du sol, C'est comme si le feu avait pris feu, Et ce second brasier, dépossession, Comme s'il prenait feu encore, dans les hauts De l'étoffe de ce qui est, que le vent gonfle. Regarde, Le quatrième mur s'est descellé, Entre lui et la pile du côté nord Il y a place pour la ronce Et les bêtes furtives de chaque nuit. Le quatrième mur et le premier Ont dérivé sur la chaîne, Le sceau de la présence a éclaté Sous la poussée rocheuse. J'entre donc par la brèche au cri rapide. Est-ce deux combattants qui ont lâché prise. Deux amants qui retombent inapaisés ? Non, la lumière joue avec la lumière Et le signe est la vie Dans l'arbre de la transparence de ce qui est. Je crie, Regarde, Le signe est devenu le lieu. Sous le porche de foudre Fendu Nous sommes et ne sommes pas. Entre avec moi, obscure, Accepte par la brèche au cri de faim. Et soyons l'un pour l'aure comme la flamme Quand elle se détache du flambeau, La phrase de fumée un instant lisible Avant de s'effacer dans l'air souverain. Oui, toutes choses simples Rétablies Ici et là, sur leurs Piliers de feu. Vivre sans origine, Oui, maintenant, Passer, la main criblée De lueurs vides. Et tout attachement Une fumée. Mais vibrant clair, comme un Airain qui sonne. Retrouvons-nous Si haut que la lumière comme déborde De la coupe de l'heure et du cri mêlés, Un ruissellement clair, où rien ne reste Que l'abondance comme telle, désignée. Retrouvons-nous, prenons A poignées notre pure présence nue Sur le lit du matin et le lit du soir. Partout où le temps creuse son ornière, Partout où l'eau précieuse s'évapore. Portons-nous l'un vers l'autre comme enfin Chacun toutes les bêtes et les choses. Tous les chemins déserts, toutes les pierres, Tous les ruissellements, tous les métaux. Regarde, Ici fleurit le rien ; et ses corolles. Ses couleurs d'aube et de crépuscule, ses apports De beauté mystérieuse au lieu terrestre Et son vert sombre aussi, et le vent dans ses branches C'est l'or qui est en nous : or sans matière. Or de ne pas durer, de ne pas avoir, Or d'avoir consenti, unique flamme Au flanc transfiguré de l'alambic. Et tant vaut la journée qui va finir, Si précieuse la qualité de cette lumière, Si simple le cristal un peu jauni De ces arbres, de ces chemins parmi des sources. Et si saiislaisantes l'une pour l'autre Nos voix, qui eurent soif de se trouver Et ont erré côte à côte, longtemps Interrompues, obscures. Que tu peux nommer Dieu ce vase vide. Dieu qui n'est pas. mais qui sauve le don. Dieu sans regard mais dont les mains renouent. Dieu nuée. Dieu enfant et à naître encore. Dieu vaisseau pour l'antique douleur comprise, Dieu voûte pour l'étoile incertaine du sel Dans l'évaporation qui est la seule Intelligence ici qui sache et prouve. Et nos mains se cherchant Soient la pierre nue Et la joie partagée La brassée d'herbes Car bien que toi, que moi Criant ne sommes Qu'un anneau de feu clair Qu'un vent disperse Si bien qu'on ne saura Tôt dans le ciel Si même eut lieu ce cri Qui a fait naître, Toutefois, se trouvant. Nos mains consentent D'autres éternités Au désir encore. Et notre terre soit L'inachevable Lumière de la faux Qui prend l'écume Et non parce qu'est vraie Sa seule foudre, Bien que le vide, clair, Soit notre couche Et que toi près de moi. Simples, n'y sommes Que fumée rabattue Du sacrifice, Mais pour sa retombée Qui nous unit. Blé de la transparence, Au désir encore. Éternité du cri De l'enfant qui semble Naître de la douleur Qui se fait lumière. L'éternité descend Dans la terre nue Et soulève le sens Comme une bêche. Et vois, l'enfant Est là, dans l'amandier. Debout Comme plusieurs vaisseaux arrivant en rêve. Il monte Entre lune et soleil. Il essaie de pencher vers nous Dans la fumée Son feu, riant. Où l'ange et le serpent ont même visage. Il offre Dans la touffe des mots, qui a fleuri, Une seconde fois du fruit de l'arbre. Et déjà le maçon Se penche vers le fond de la lumière Sa bêche en prend les gravats Pour le comblement impossible. Il racle De sa bêche phosphorescente Cet autre ciel, il fouille De son fer antérieur à notre rêve Sous les ronces, A l'étage du feu et de Pincréé. Il arrache La touffe blanche du feu Au battement de l'incréé parmi les pierres. Il se tait. Le midi de ses quelques mots est encore loin Dans la lumière. Mais, tard. Le rouge déteint du ciel Lui suffira, pour l'éternité du retour Dans les pierres, grossies Par l'attraction des cimes encore claires. N'étant que la puissance du rien, La bouche, la salive du rien, Je crie, Et au-dessus de la vallée de toi, de moi Demeure le cri de joie dans sa forme pure. Oui, moi les pierres du soir, illuminées. Je consens. Oui, moi la flaque Plus vaste que le ciel, l'enfant Qui en remue la boue, l'iris Aux reflets sans repos, sans souvenirs, De l'eau, moi, je consens. Et moi le feu, moi La pupille du feu, dans la fumée Des herbes et des siècles, je consens. Moi la nuée Je consens. Moi l'étoile du soir Je consens. Moi les grappes de mondes qui ont mûri, Moi le départ Des maçons attardés vers les villages, Moi le bruit de la fourgonnette qui se perd, Je consens. Moi le berger. Je pousse la fatigue et l'espérance Sous l'arche de l'étoile vers l'étable. Moi la nuit d'août, Je fais le lit des bêtes dans l'étable. Moi le sommeil. Je prends le rêve dans mes barques, je consens. Et moi, la voix Qui a tant désiré. Moi le maillet Qui heurta, à coups sourds, Le ciel, la terre noire. Moi le passeur, Moi la barque de tout à travers tout. Moi le soleil. Je m'arrête au faîte du monde dans les pierres. Parole Décrucifiée. Chanvre de l'apparence Enfin rouie. Patience Qui a voulu, et su. Couronne Qui a droit de brûler Perche De chimères, de paix. Qui trouve Et louche doucement, dans le flux qui va, A une épaule. |
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