Yves Bonnefoy |
Nous sommes revenus à notre origine. Ce fut le lieu de l'évidence, mais déchirée. Les fenêtres mêlaient trop de lumières, Les escaliers gravissaient trop d'étoiles Qui sont des arches qui s'effondrent, des gravats, Le feu semblait brûler dans un autre monde. Et maintenant des oiseaux volent de chambre en chambre, Les volets sont tombés, le lit est couvert de pierres, L'âtre plein de débris du ciel qui vont s'éteindre. Là nous parlions, le soir, presque à voix basse À cause des rumeurs des voûtes, là pourtant Nous formions nos projets : mais une barque, Chargée de pierres rouges, s'éloignait Irrésistiblement d'une rive, et l'oubli Posait déjà sa cendre sur les rêves Que nous recommencions sans fin, peuplant d'images Le feu qui a brûlé jusqu'au dernier jour. Est-il vrai, mon amie, Qu'il n'y a qu'un seul mot pour désigner Dans la langue qu'on nomme la poésie Le soleil du matin et celui du soir, Un seul le cri de joie et le cri d'angoisse, Un seul l'amont désert et les coups de haches, Un seul le lit défait et le ciel d'orage, Un seul l'enfant qui naît et le dieu mort? Oui, je le crois, je veux le croire, mais quelles sont Ces ombres qui emportent le miroir? Et vois, la ronce prend parmi les pierres Sur la voie d'herbe encore mal frayée Où se portaient nos pas vers les jeunes arbres. Il me semble aujourd'hui, ici, que la parole Est cette auge à demi brisée, dont se répand À chaque aube de pluie l'eau inutile. L'herbe et dans l'herbe l'eau qui brille, comme un fleuve. Tout est toujours à remailler du monde. Le paradis est épars, je le sais, C'est la tâche terrestre d'en reconnaître Les fleurs disséminées dans l'herbe pauvre, Mais l'ange a disparu, une lumière Qui ne fut plus soudain que soleil couchant. Et comme Adam et Eve nous marcherons Une dernière fois dans le jardin. Comme Adam le premier regret, comme Eve le premier Courage nous voudrons et ne voudrons pas Franchir la porte basse qui s'entrouvre Là-bas, à l'autre bout des longes, colorée Comme auguralement d'un dernier rayon. L'avenir se prend-il dans l'origine Comme le ciel consent à un miroir courbe, Pourrons-nous recueillir de cette lumière Qui a été le miracle d'ici La semence dans nos mains sombres, pour d'autres flaques Au secret d'autres champs « barrés de pierres »? Certes, le lieu pour vaincre, pour nous vaincre, c'est ici Dont nous partons, ce soir. Ici sans fin Comme cette eau qui s'échappe de l'auge. |
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Yves Bonnefoy (1923 - ?) |
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