Yves Bonnefoy |
J'imagine souvent, au-dessus de moi, Un visage sacrificiel, dont les rayons Sont comme un champ de terre labourée. Les lèvres et les yeux sont souriants, Le front est morne, un bruit de mer lassant et sourd. Je lui dis : Sois ma force, et sa lumière augmente, Il domine un pays de guerre au petit jour Et tout un fleuve qui rassure par méandres Cette terre saisie fertilisée. Et je m'étonne alors qu'il ait fallu Ce temps, et cette peine. Car les fruits Régnaient déjà dans l'arbre. Et le soleil Illuminait déjà le pays du soir. Je regarde les hauts plateaux où je puis vivre, Cette main qui retient une autre main rocheuse, Cette respiration d'absence qui soulève Les masses d'un labour d'automne inachevé. II Et je pense à Coré l'absente : qui a pris Dans ses mains le cour noir etineelant des (leurs Et qui tomba, buvant le noir, l'irrévélée. Sur le pré de lumière - et d'ombre. Je comprends Cette faute, la mon. Asphodèles, jasmins Sont de notre pavs. Des rives d'eau Peu profonde et limpide et verte y font frémir L'ombre du cour du monde... Mais oui. prends. La faute de la fleur coupée nous est remise, Toute l'âme se voûte autour d'un dire simple, La grisaille se perd dans le fruit mûr. Le fer des mots de guerre se dissipe Dans l'heureuse matière sans retour. III Oui, c'est cela. Un éblouissement dans les mots anciens. L'étagement De toute notre vie au loin comme une mer Heureuse, élucidée par une arme d'eau vive. Nous n'avons plus besoin D'images déchirantes pour aimer. Cet arbre nous suffit là-bas, qui, par lumière. Se délie de soi-même et ne sait plus Que le nom presque dit d'un dieu presque incarné, Et tout ce haut pays que l'Un très proche brûle. Et ce crépi d'un mur que le temps simple touche De ses mains sans tristesse, et qui ont mesuré IV Et toi, Et c'est là mon orgueil, O moins à contre-jour, ô mieux aimée, Qui ne m'es plus étrangère. Nous avons grandi, je le sais. Dans les mêmes jardins obscurs. Nous avons bu La même eau difficile sous les arbres. Le même ange sévère t'a menacée. Et nos pas sont les mêmes, se déprenant Des ronces de l'enfance oubliable et des mêmes Imprécations impures. V Imagine qu'un soir La lumière s'attarde sur [a terre, Ouvrant ses mains d'orage et donatrices, dont La paume est notre lieu et d'angoisse et d'espoir. Imagine que la lumière soit victime Pour le salut d'un lieu mortel et sous un dieu Certes distant et noir. L'après-midi A été pourpre et d'un trait simple. Imaginer S'est déchiré dans le miroir, tournant vers nous Sa face souriante d'argent clair. Et nous avons vieilli un peu. Et le bonheur A mûri ses fruits clairs en d'absentes ramures. Est-ce là un pays plus proche, mon eau pure ? Ces chemins que tu vas dans d'ingrates paroles Vont-ils sur une rive à jamais ta demeure « Au loin » prendre musique, « au soir » se dénouer ? VI O de ton aile de terre et d'ombre éveille-nous, Ange vaste comme la terre, et porte-nous Ici. au même endroit de la terre mortelle. Pour un commencement. Les fruits anciens Soient notre faim et notre soif enfin calmées. Le feu soit notre feu. Et l'attente se change En ce proche destin, cette heure, ce séjour. Le fer. blé absolu, A,yant germé dans la jachère de nos gestes. De nos malédictions, de nos mains pures. Étant tombé en grains qui ont accueilli l'or D'un temps, comme le cercle des astres proches. Et bienveillant et nul. Ici. où nous allons. Où nous avons appris l'universel langage. Ouvre-toi, parle-nous, déchire-toi. Couronne incendiée, battement clair. Ambre du cour solaire. |
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Yves Bonnefoy (1923 - ?) |
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