Yves Bonnefoy |
I Je sors, Il y a des milliers de pierres dans le ciel, J'entends De toute part le bruit de la nuit en crue. Est-il vrai, mes amis, Qu'aucune étoile ne bouge? Est-il vrai Qu'aucune de ces barques pourtant chargées D'on dirait plus que la simple matière Et qui semblent tournées vers un même pôle Ne frémisse soudain, ne se détache De la masse des autres laissée obscure? Est-il vrai Qu'aucune de ces figures aux yeux clos Qui sourient à la proue du monde dans la joie Du corps qui vaque à rien que sa lumière Ne s'éveille, n'écoute? N'entende au loin Un cri qui soit d'amour, non de désir? II Elle ouvrirait, sans bruit, Elle se risquerait dans le vent de mer Telle une jeune fille qui sort de nuit Soulevant une lampe qui répand Sa clarté, qui l'effraye aussi, sur ses épaules, Et se retourne, mais le monde va sans réponse, Le bruit des pas de ceux qui devraient ouvrir Leur porte sous les arbres, et la rejoindre Ne sonne pas encore dans la vallée. Les choses sont si confiantes pourtant, L'agneau si complaisant à la main qui tue, Et les regards sont si intenses parfois, Les voix se troublent si mystérieusement quand on prononce Certains mots pour demain, ou au secret Des fièvres et des invites de la nuit. Est-il vrai que les mots soient sans promesse, Éclair immense en vain, Coffre qui étincelle mais plein de cendres? III En d'autres temps, mes amis, Nous aurions écouté, ne parlant plus Soudain, Bruire la pluie de nuit sur les tuiles sèches. Nous aurions vu, courbé Sous l'averse, courant La tête protégée par le sac de toile, Le berger rassembler ses bêtes. Nous aurions cru Que le couteau de la foudre dévie Parfois, compassionné, Sur le dos laineux de la terre. Nous aurions aperçu, qui se dispersent Chaque fois que c'est l'aube, Les rêves qui déposent, couronnés d'or, Leur étincellement près d'une naissance. IV Et fût-elle venue S'asseoir auprès de nous, l'incohérente, La vieille qui n'a plus que le souvenir, Reste, l'un d'entre nous Eût dit, reste, détends tes mains noircies par la fumée, Parle-nous, instruis-nous, ô vagabonde. Le ciel était scellé pourtant, comme aujourd'hui, La barque de chaque chose, venue chargée D'un blé du haut du monde, restait bâchée À notre quai nocturne, brillant à peine De simplement la pluie dans le vent de mer. Et on rentrait le soir les mêmes bêtes lasses, La mort était servante parmi nous À recueillir le lait qui a goût de cendre. V Je sors. Je rêve que je sors dans la nuit de neige. Je rêve que j'emporte Avec moi, loin, dehors, c'est sans retour, Le miroir de la chambre d'en haut, celui des étés D'autrefois, la barque à la proue de laquelle, simples, Nous allions, nous interrogions, dans le sommeil D'étés qui furent brefs comme est la vie. En ce temps-là C'est par le ciel qui brillait dans son eau Que les mages de nos sommeils, se retirant, Répandaient leurs trésors dans la chambre obscure. VI Et la beauté du monde s'y penchait Dans le bruissement du ciel nocturne, Elle mirait son corps dans l'eau fermée Des dormeurs, qui se ramifie entre des pierres. Elle approchait bouche et souffle confiants De leurs yeux sans lumière. Elle eût aimé Qu'au repli de sa robe fermée encore Paraisse sous l'épaule le sein plus clair, Puis le jour se levait autour de toi, Terre dans le miroir, et le soleil Ourlait ta nuque nue d'une buée rouge. Mais maintenant Me voici hors de la maison dont rien ne bouge Puisqu'elle n'est qu'un rêve. Je vais, je laisse N'importe où, contre un mur, sous les étoiles, Ce miroir, notre vie. Que la rosée De la nuit se condense et coule, sur l'image. VII Ô galaxies Poudroyantes au loin De la robe rouge. Rêves, Troupeau plus noir, plus serré sur soi que les pierres Je vais, Je passe près des amandiers sur la terrasse. Le fruit est mûr. J'ouvre l'amande et son cour étincelle. Je vais. Il y a cet éclair immense devant moi, Le ciel, L'agneau sanglant dans la paille. |
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Yves Bonnefoy (1923 - ?) |
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