Yves Bonnefoy |
Deux fois silencieuse l'après-midi Par vertu de l'été désert, et d'une flamme Qui déborde, on ne sait si de ce vase Ou de plus haut encore dans le ciel. Nous avons donc dormi : je ne sais combien D'étés dans la lumière ; et je ne sais Non plus dans quels espaces nos yeux s'ouvrent. J'écoute, rien ne vibre, rien ne finit. A peine le désir façonnant l'image Tourne-t-il méditant, sur son axe simple. L'argile d'un éveil en rêve, trempée d'ombre. Toutefois le soleil bourdonne sur la vitre El, l'âme enveloppée de ses rouges élyires. Il descend, mais en paix, vers la terre des morts. Au-dessus de moi seul, quand je traçais Le signe d'espérance en temps de guerre, Une nuée rôdait noire et le vent Dispersait à grandes lueurs la phrase vaine. Au-dessus de nous deux, qui avons voulu Le noud, le déliement, une énergie S'accumula entre deux hauts flancs sombres Et il y eut, enfin, Comme un tressaillement dans la lumière. Autres pays, montagnes éclairées Du ciel, lacs au-delà, inapprochés, nouvelles Rives, - apaisement des dieux progéniteurs, L'éclair aura été sa propre cause Et au-dessus de l'enfant à ses jeux L'anneau de ces nuages, le feu clair Qui semble s'attarder ce soir, comme une preuve. Nuages, oui, L'un à l'autre, navires à l'arrivée Dans un rapport de musique. Il me semble, parfois, Que la nécessité se métamorphose Comme à la fin du Conte d'hiver Quand chacun reconnaît chacun, quand on apprend De niveau en niveau dans la lumière Que ceux qu'avaient jetés l'orgueil, le doute De contrées en contrées dans le dire obscur Se retrouvent, se savent. Parole en cet instant Leur silence ; et silence leurs quelques mots On ne sait si de joie ou de douleur « Bien qu'à coup sûr l'extrême de l'une ou l'autre ». Ils semblent, dit encore Un témoin, méditant, et qui s'éloigne, Entendre la nouvelle D'un monde rédimé ou d'un monde mort. Nuages, Et ces deux pourpres là-bas un père, une fille. Et cet autre plus proche, la statue D'une femme, mère de la beauté, mère du sens. Dont on voit bien qu'immobile longtemps. Étouffée dans sa voix de siècle en siècle. Déniée, animée Par rien que la magie de la sculpture. Elle prend vie. elle va parler. Foudre ses yeux Qui s'ouvrent dans le gouffre du safre clair, Mais foudre souriante comme si, Condamnée à suivre le rêve au flux stérile Mais découvrant de l'or dans le sable vierge, Elle avait médité et consenti. L'homme d'ailleurs s'approche, son visage Déchiré s'apaisant de tant de joie. Il gravit les degrés de l'heure qui roule En rafales, car le ciel change, la nuit vient. Et vacille où elle l'attend, nuit étoilée Qui s'ébrase. musique. Il se redresse. 11 se tourne vers l'univers. Ses traits scintillen' De la phosphorescence de l'absolu. Et le jour reprend pour eux tous et nous, comme une veine Se regonfle de sang, - cime des arbres Crevassée par l'éclair, fleuves, châteaux En paix de l'autre rive. Oui, une terre Sur ses colonnes torses de nuée Et qu'importe si l'homme, le ciel tournant. Vacille une seconde fois, dit à la femme A demi emportée déjà, nuage noir. Quelques mots que l'on n'entend pas puis se détourne. S'éloigne à ses côtés qui se dissipent Et se penche vers elle Et cache son visage en pleurs dans ses mains pures Puisque vers l'Occident, encore clair, Un navire à fond plat, dont la proue figure Un feu, une fumée, est apparu. Livre rouvert, nuage rouge, au faîte De la houle qui s'enfle. Il vient. Il vire, lentement, on ne voit pas Ses ponts, ses mâts, on n'entend pas les cris De l'équipage, on ne devine pas Les chimères, les espérances de ceux qui Là-haut se pressent à l'avant, les veux immenses, Ni quel autre horizon ils aperçoivent. Quelle rive peut-être, on ne sait non plus De quelle ville incendiée ils ont dû fuir. De quelle Troie inachevable ; mais on sent Battre dans ce bras nu toute l'ardeur De l'été, notre angoisse... Aie foi, le sens Peut croître dans tes mots, terre sauvée, Comme la transparence dans la grappe De l'été, celui qui vieillit. Parles-tu, chantes-tu, enfant, Et je rêve aussitôt que toute la treille Terrestre s'illumine ; et que ce poids Des étoiles serrées à du froid, des pierres Denses comme des langues non révélées, Et des cimes que prend notre nuit encore, Des cris de désespoir mais des cris de joie, Des vies qui se séparent dans l'énigme. Des erreurs, des effondrements, des solitudes Mais des aubes aussi, des pressentiments, Des eaux qui se dénouent au loin, des retrouvailles. Des enfants qui jouent clair à des proues qui passent, Des feux dans les maisons ouvertes, des appels Le soir, de porte en porte dans la paix, Oui, que ce vrai, ce lieu déjà, presque le bien, Mûrit, que ce n'était que la grappe verte. Tout n'est-il pas si cohérent, si prêt Bien que. certes, scellé ? Le soleil de l'aube Et le soleil du soir, l'illuminé, Mènent bien, boufs aveugles, la charrue De l'or universel inachevé. Et sonne sur leur front cette chaîne d'astres Indifférents, c'est vrai : mais eux avancent Comme une eau s'évapore, un sel dépose Et n'est-ce toi là-bas, mère dont les yeux brillent, Terre, qui les conduis, La robe rouge déchirée, non, entrouverte Sous l'arche de l'étoile première née ? Mais toujours et distinctement je vois aussi La tache noire dans l'image, j'entends le cri Qui perce la musique, je sais en moi La misère du sens. Non, ce n'est pas Aux transfigurations que peut prétendre Notre lieu, en son mal. Je dis l'espoir, Sa joie, son feu même de grappe immense, quand L'éclair de chaque nuit frappe à la vitre, quand Les choses se rassemblent dans l'éclair Comme au lieu d'origine, et les chemins Luiraient dans les jardins de l'éclair, la beauté Y porterait ses pas errants... Je dis le rêve, Mais ce n'est que pour le repos de mots blessés. Et je sais même dire ; et je suis tenté De vous dire parfois, signes fiévreux. Criants, les salles peintes, Les cours intérieures ombragées, La suffisance de l'été sur les dalles fraîches, Le murmure de l'eau comme absente, le sein Qui est semblable à l'eau, une, infinie, Gonflée d'argile rouge. De vous donner L'anneau des ciels de palmes, mais aussi Celui, lourd, de cette cheville, qu'une main De tiédeur et d'indifférence fait glisser Contre l'arc du pied maigre, cependant Que la bouche entrouverte ne cherche que La mémoire d'une autre. « Regarde-moi, Dirait la voix néante à travers la mienne, Je mens, à l'infini, mais je satisfais, Je ne suis pas mais je ferme les yeux, Je courbe si tu veux ma nuque noire Et je chante, veux-tu, esprit lassé. Ou je feins de dormir »... Au crépuscule La guêpe se couronne de lumière, Elle règne absolue dans son instant D'ascension tâtonnante sur la grappe. Non, nous ne sommes pas guéris du jardin, De même que ne cesse pas, gonflé d'une eau Noire, l'épanchement du rêve quand les yeux s'ouvrent. Encore nous chargerons, à contre-jour Dans l'afflux d'en dessous, étincelant, Notre barque à fond plat de fruits, de fleurs Comme d'un feu, rouge, dont la fumée Dissipera de ses acres images Les heures et les rives. Et que d'espoirs Enfantins, sous les branches ! Quelle avancée Dans les mots consentants ! Bien que la nuit Nous frôle même là d'une aile insue Et trempe même là son bec, dans l'eau rapide. «Je voulais l'enrichir de n'être qu'une image Pour que lui n'en soit qu'une, et que le feu Du temps, s'il prend aux corps, aux cris, aux rêves même. Laisse intacte la forme où nous nous retrouvions, Aussi je me faisais sa réserve d'eau pure, J'illimitais ses yeux qui se penchaient sur moi. Ma bouche aimait sa bouche aux hâtives conliances, C'était ma joie d'attendre et de lui faire don. - Il dort. Je suis l'étoffe de la porte Que l'on a trempée d'eau pour changer de ciel. J'ourle l'après-midi d'outre-marine. Je suis le jeu des quelques ombres sur son corps. Il vieillit. Même en nous l'heure a grossi et roule Son bruit de nuit qui vient dans les pierres. Parfois Il laisse aller son bras dans cette eau plus froide. Je ne sais si en rêve et ne me sachant pas... » « Es-tu venu pour ce livre fermé. Je ne consens pas que tu l'ouvres. Es-tu venu pour en briser le sceau Brûlant, troué de nuit, courbé, feuillage Sous l'orage qui rôde et n'éclate pas. Je ne te permets pas d'en toucher la cire. Es-tu venu « ne serait-ce que pour » Entrevoir, comme en songe, une parole Croître transfigurée dans l'aube du sens (Et je sais bien qu'un soc a travaillé Longtemps à cet espoir et, retombé Dans la phrase terrestre, brille là Déchiré au rebord de ma lumière). Je reste silencieux dans ta voix qui rêve... Es-tu venu pour dévaster l'écrit (Tout écrit, tout espoir), pour retrouver La surface introublée que double l'étoile Et boire à l'eau qui passe et te baigner Sous la voûte où mûrit le fruit non le sens Je ne t'ai pas permis d'oublier le livre. » O rêves, beaux enfants Dans la lumière Des robes déchirées. Des épaules peintes. « Puisque rien n'a de sens, Souffle la voix. Autant peindre nos corps De nuées rouges. Vois, j'éclaire ce sein D'un peu d'argile Et délivre la joie, qui est le rien, D'être la faute. » Us marchent, les pieds nus Dans leur absence. Et atteignent les rives Du fleuve terre. Ils demandent, ils donnent, Les yeux fermés, Les chevilles rougies Par la boue d'images. Rien n'aura précédé, rien ne finit, Ils partagent, une eau. S'étendent, le liane nu Reflète l'étoile. Ils passent, prenant part A l'eau étincelante, A toi, pierre jetée, A des mondes là-bas, qui s'élargissent. Et à leurs pas se joint Flore la pure Qui jette ses pavots A qui demande. Et beauté pastorale Nue, pour ouvrir A des bêtes mouillées, au froid du jour. L'enclos du simple - Mais aussi beauté grise Des fumées Qui se tord et défait Au moindre souffle Tu te penches, tu prends Un peu de la divinité d'une herbe sèche Et dans la profusion de l'odeur froissée Cesse l'attente de la vie au cri de faim. Des lèvres qui demandent d'autres lèvres. De l'eau qui veut la pente dans les pierres, De l'élan de l'agneau, fait de joie pure, De l'enfant qui joue sans limite sur le seuil Tu accomplis le vou puisque tu accueilles La terre, qui excède le désir. Tu te penches... Le myrte, puis pleurer. Mon amie, ce n'est là que l'été qui vibre Comme fait un volet que le vent assaille Sur son gond d'espérance déchirée. Mais que ce jour est clair ! Notre révolte Est bue par la porosité de la lumière, Et l'assombrissement de l'aile du ciel. Son cri. le vent qui recommence, tout cela Dit la vie enfin prête à soi et non la mort. Vois, il aura sufTî de faire confiance, L'enlant a pris la main du temps vieilli, La main de l'eau, la main des fruits dans le feuillage, Il les guide muets dans le mystère. Et nous qui regardons de loin, tout nous soit simple De croiser son regard qui ne cille pas. Désir se fit Amour par ses voies nocturnes Dans le chagrin des siècles ; et par beauté Comprise, par limite acceptée, par mémoire Amour, le temps, porte l'enfant, qui est le signe. Et en nous et de nous, qui demeurons Si obscurs l'un à l'autre, ce qui est La faute mais fatale, la parole Étant inachevée comme l'être encor, Que sa joie prenne forme : pour retenir L'eau dans sa coupe fugitive : pour refléter Le tèu, qui est le rien ; pour faire don D'au moins l'idée du sens - à la lumière. Nuages, El un. le plus au loin, oui, à jamais Rouge, l'eau et le feu Dans le vase de terre, la fumée En tourbillons au point de braise pure Où va bondir la llanime... Mais ici Le sol, connue le ciel. Est parsemé à l'infini de pierres Dont quelques-unes, rouges. Portent des traits que nous rêvons des signes. Et nous les dégageons des mousses, des ronces. Nous les prenons, nous les soulevons. Regarde ! Ici. c'est un tracé, de l'écriture. Ici vibra le cri sur le gond du sens. Ici... Mais non, cela ne parle pas, l'entaille Dévie, au laite Aussi de braise pure, dans l'esprit, Où la répétition, la symétrie Auraient redit l'espoir d'une main ouvrante. Le silence Comme un pont éboulé au-dessus de nous Dans le soir. Nous ramassons pourtant, Mon amie Tant et plus de ces pierres, quand la nuit Tachant l'étoffe rouge, trouant nos voix. Les dérobe déjà à nos mains anxieuses Et nuées que nous sommes, leur feu nous guide Quand nous rentrons, chargés, A la maison, « là-bas ». Quand nous passons Déserts Dans la vitre embrasée de ce pays Qui ressemble au langage : illuminé Au loin, pierreux ici. Quand nous allons Plus loin même, nous divisant, nous déchirant. L'enfant courant devant nous dans sa joie A sa vie inconnue, Simples. - non, clairs. En paix. Immobiles parfois à des carrefours. Entre les colonnes des feux de l'été qui va prendre fin. Dans l'odeur de l'étoile et de la cendre. Tout cela », oui, Nos leurres, nos joies. Nos regrets à jamais. Non, nos consentements, nos certitudes, Tout cela, c'est l'été, L'incohérent Qui assaille nos yeux De son eau brusque. Et dehors c'est la nuit, Non, c'est le jour Qui proclame, glaireux. Une naissance. L'été . Cette chevêche que cloue Là. sur le seuil. Le fer en paix de l'étoile. |
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