Yves Bonnefoy |
I Que voulais-tu dresser sur cette table,, Sinon le double feu de notre mort ? J'ai eu peur, j'ai détruit dans ce monde la table Rougeàtre et nue, où se déclare le vent mort. Puis j'ai vieilli. Dehors, vérité de parole Et vérité de vent ont cessé leur combat. Le feu s'est retiré, qui était mon église. Je n'ai même plus peur, je ne dors pas. II Vois, déjà tous chemins que tu suivais se ferment, Il ne l'est plus donné même ce répit D'aller même perdu. Terre qui se dérobe Est le bruit de tes pas qui ne progressent plus. Pourquoi as-tu laissé les ronces recouvrir Un haut silence où tu étais venu ? Le léu veille désert au jardin de mémoire Et toi, ombre dans l'ombre, où es-tu, qui es-tu ? III Tu cesses de venir dans ce jardin, Les chemins de souffrir et d'être seul s'effacent. Les herbes signifient ton visage mort. Il ne t'importe plus que soient cachés Dans la pierre l'église obscure, dans les arbres Le visage aveuglé d'un plus rouge soleil, Il te suffit De mourir longuement comme en sommeil, Tu n'aimes même plus l'ombre que tu épouses IV Tu es seul maintenant malgré ces étoiles, Le centre est près de toi et loin de toi, Tu as marché, tu peux marcher, plus rien ne change, Toujours la même nuit qui ne s'achève pas. Et vois, tu es déjà séparé de toi-même, Toujours ce même cri, mais tu ne l'entends pas, Es-tu celui qui meurt, toi qui n'as plus d'angoisse, Es-tu même perdu, toi qui ne cherches pas ? V Le vent se tait, seigneur de la plus vieille plainte, Serai-je le dernier qui s'arme pour les morts ? Déjà le feu n'est plus que mémoire et que cendre Et bruit d'aile fermée, bruit de visage mort. Consens-tu de n'aimer que le fer d'une eau grise Quand l'ange de ta nuit viendra clore le port Et qu'il perdra dans l'eau immobile du port Les dernières lueurs dans l'aile morte prises ? Oh, souffre seulement de ma dure parole Et pour toi je vaincrai le sommeil et la mon, Pour toi j'appellerai dans l'arbre qui se brise La flamme qui sera le navire et le port. Pour toi j'élèverai le feu sans lieu ni heure, Un vent cherchant le feu, les cimes du bois mort. L'horizon d'une voix où les étoiles tombent Et la lune mêlée au désordre des morts. |
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Yves Bonnefoy (1923 - ?) |
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