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Charles Baudelaire



Incompatibilité - Poéme


Poéme / Poémes d'Charles Baudelaire





Tout là-haut, tout là-haut, loin de la route sûre,
Des fermes, des vallons, par delà les coteaux,
Par delà les forêts, les tapis de verdure,
Loin des derniers gazons foulés par les troupeaux,



On rencontre un lac sombre encaissé dans l'abîme
Que forment quelques pics désolés et neigeux;
L'eau, nuit et jour, y dort dans un repos sublime,
Et n'interrompt jamais son silence orageux.



Dans ce morne désert, à l'oreille incertaine
Arrivent par moments des bruits faibles et longs,
Et des échos plus morts que la cloche lointaine
D'une vache qui paît aux penchants des vallons.



Sur ces monts où le vent efface tout vestige,
Ces glaciers pailletés qu'allume le soleil,
Sur ces rochers altiers où guette le vertige,
Dans ce lac où le soir mire son teint vermeil,



Sous mes pieds, sur ma tête et partout le silence,
Le silence qui fait qu'on voudrait se sauver,
Le silence éternel et la montagne immense,
Car l'air est immobile et tout semble rêver.



On dirait que le ciel, en cette solitude,

Se contemple dans l'onde, et que ces monts, là-bas,

Ecoutent, recueillis, dans leur grave attitude,

Un mystère divin que l'homme n'entend pas.



Et lorsque par hasard une nuée errante
Assombrit dans son vol le lac silencieux,
On croirait voir la robe ou l'ombre transparente
D'un esprit qui voyage et passe dans les cieux.



II



Je n'ai pas pour maîtresse une lionne illustre;
La gueuse de mon âme emprunte tout son lustre.
Invisible aux regards de l'univers moqueur,
Sa beauté ne fleurit que dans mon triste cour.





Pour avoir des souliers elle a vendu son âme;
Mais le bon
Dieu rirait si près de cette infâme
Je tranchais du
Tartufe, et singeais la hauteur,
Moi qui vends ma pensée, et qui veux être auteur.



Vice beaucoup plus grave, elle porte perruque.

Tous ses beaux cheveux noirs ont fui sa blanche nuque;

Ce qui n'empêche pas les baisers amoureux

De pleuvoir sur son front plus pelé qu'un lépreux.



Elle louche, et l'effet de ce regard étrange,
Qu'ombragent des cils noirs plus longs que ceux d'un



Est tel que tous les yeux pour qui l'on s'est damné
Ne valent pas pour moi son oil juif et cerné.



Elle n'a que vingt ans ; sa gorge - déjà basse
Pend de chaque côté comme une calebasse,
Et pourtant me traînant chaque nuit sur son corps,
Ainsi qu'un nouveau né, je la tète et la mords -



Et bien qu'elle n'ait pas souvent même une obole
Pour se frotter la chair et pour s'oindre l'épaule -
Je la lèche en silence avec plus de ferveur,
Que
Madeleine en feu les deux pieds du
Sauveur.



La pauvre créature au plaisir essoufflée
A de rauques hoquets la poitrine gonflée,
Et je devine au bruit de son souffle brutal
Qu'elle a souvent mordu le pain de l'Hôpital.



Ses grands yeux inquiets durant la nuit cruelle
Croient voir deux autres yeux au fond de la ruelle -
Car ayant trop ouvert son cour à tous venants,
Elle a peur sans lumière et croit aux revenants.



Ce qui fait que de suif elle use plus de livres

Qu'un vieux savant couché jour et nuit sur ses livre»

Et redoute bien moins la faim et ses tourments

Que l'apparition de ses défunts amants.

Si vous la rencontrez, bizarrement parée,



Se faufilant au coin d'une rue égarée,

Et la tête et l'oeil bas - - comme un pigeon blessé --

Traînant dans les ruisseaux un talon déchaussé,



Messieurs, ne crachez pas de jurons ni d'ordure,
Au visage fardé de cette pauvre impure
Que déesse
Famine a par un soir d'hiver
Contrainte à relever ses jupons en plein air.



Cette bohême-là, c'est mon tout, ma richesse,
Ma perle, mon bijou, ma reine, ma duchesse,
Celle qui m'a bercé sur son giron vainqueur,
Et qui dans ses deux mains a réchauffé mon cour.

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Charles Baudelaire
(1821 - 1867)
 
  Charles Baudelaire - Portrait  
 
Portrait de Charles Baudelaire

Biographie

Charles Baudelaire, né à Paris en 1821, a six ans lorsqu'il perd son père, un peintre fantasque et cultivé, ancien prêtre assermenté. Sa mère se remarie avec le futur général Aupick, union que l'enfant qui rêve, de Lyon à Paris, au gré des garnisons, en de tristes internats, d'être « tantôt pape, tantôt comédien », accepte mal. Reçu au baccalauréat, tandis que son beau-père est nommé général de br

RepÈres biographiques


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