Charles Baudelaire |
Harpagon, qui veillait son père agonisant, Se dit, rêveur, devant ces lèvres déjà blanches : « Nous avons au grenier un nombre suffisant, Ce me semble, de vieilles planches? » Célimène roucoule et dit : « Mon cour est bon, Et naturellement, Dieu m'a faite très-belle. » - Son cour! cour racorni, fumé comme un jam Recuit à la flamme éternelle ! Un gazetier fumeux, qui se croit un flambeau, Dit au pauvre, qu'il a noyé dans les ténèbres : « Où donc l'aperçois-tu, ce créateur du Beau, Ce Redresseur que tu célèbres? » Mieux que tous, je connais certain voluptueux Qui bâille nuit et jour, et se lamente et pleure, Répétant, l'impuissant et le fat : « Oui, je veux Être vertueux, dans une heure! » L'horloge, à son tour, dit à voix basse : « Il est mûr, Le damné! J'avertis en vain la chair infecte. L'homme est aveugle, sourd, fragile, comme un mur Qu'habite et que ronge un insecte! » Et puis, Quelqu'un paraît, que tous avaient nié, Et qui leur dit, railleur et fier : « Dans mon ciboire, Vous avez, que je crois, assez communié, A la joyeuse Messe noire? Chacun de vous m'a fait un temple dans son cour; Vous avez, en secret, baisé ma fesse immonde! Reconnaissez Satan à son rire vainqueur, Énorme et laid comme le monde ! Avez-vous donc pu croire, hypocrites surpris, Qu'on se moque du maître, et qu'avec lui l'on triche, Et qu'il soit naturel de recevoir deux prix, D'aller au Ciel et d'être riche? Il faut que le gibier paye le vieux chasseur Qui se morfond longtemps a 1 affût de la proie. Je vais vous emporter à travers l'épaisseur, Compagnons de ma triste joie, A travers l'épaisseur de la terre et du roc, A travers les amas confus de votre cendre, Dans un palais aussi grand que moi, d'un seul bloc, Et qui n'est pas de pierre tendre; Car il est fait avec l'universel Péché, Et contient mon orgueil, ma douleur et ma gloire ! » - Cependant, tout en haut de l'univers juché, Un ange sonne la victoire De ceux dont le cour dit : « Que béni soit ton fouet, Seigneur! que la douleur, ô Père, soit bénie! Mon âme dans tes mains n'est pas un vain jouet, Et ta prudence est infinie. » Le son de la trompette est si délicieux. Dans ces soirs solennels de célestes vendanges, Qu'il s'infiltre comme une extase dans tous ceux Dont elle chante les louanges. |
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Charles Baudelaire (1821 - 1867) |
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Portrait de Charles Baudelaire | |||||||||
BiographieCharles Baudelaire, né à Paris en 1821, a six ans lorsqu'il perd son père, un peintre fantasque et cultivé, ancien prêtre assermenté. Sa mère se remarie avec le futur général Aupick, union que l'enfant qui rêve, de Lyon à Paris, au gré des garnisons, en de tristes internats, d'être « tantôt pape, tantôt comédien », accepte mal. Reçu au baccalauréat, tandis que son beau-père est nommé général de br RepÈres biographiques |
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