Charles Baudelaire |
La rue assourdissante autour de moi hurlait. Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse, Une femme passa, d'une main fastueuse Soulevant, balançant le feston et l'ourlet; Agile et noble, avec sa jambe de statue. Moi, je buvais, crispé comme un extravagant, Dans son oil, ciel livide où germe l'ouragan, La douceur qui fascine et le plaisir qu tue. Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté Dont le regard m'a fait soudainement renaître. Ne te verrai-je plus que dans l'éternité? Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être ! Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais, O toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais ! Dans les deux derniers vers d'« A une passante », Baudelaire demeure l'organisateur des formes closes, l'architecte du langage idéal, qui transfigure par l'écriture, cette fois encore, la réalité de la perte, le grand trou sourd de l'espérance déçue. Même si cette lecture qu'il faudra recentrer relève d'un mouvement discursif, on peut s'étonner que ces vers s'avouent trop finis. La vérité aurait pu naître, retournement, joie, mais n'est pas et ne sera jamais, peut-être. Or une analyse des rythmes, des rimes, des significations extérieures d'« A une passante » montrerait que Baudelaire - le dandy le plus conscient, l'esprit aux ongles les plus soignés que ses opérations mentales tendues à outrance ont séparé des bonheurs simples, des dons de l'occasion quotidienne - réifie le sanglot que ses mots disent, cultive la douleur, chérit narcissi-quement cet éclair noir. De même qu'à la Passante, déchirante disparition apparue, certes, naissance et mort au même instant, oui, mais d'abord une femme, ordinairement une femme incarnée avec une mémoire et une liberté, le poète ne peut pas se vouer, de même à la solitude, à la vague de nuit dans l'existence où l'existence sombre, - raide, muré, il se plaît, crispé sur son orgueil de marbre : sur ses mots de marbre. Il nous faut questionner cette distance à soi-même et à l'événement, que créent dans « A une passante » l'écriture et ses images, où le retrait d'une conscience devant l'amour s'est construit, lorsque lui fut offert l'enfin possible qu'elle ne sut saisir. Et il nous le faut passionnément car elle est, aujourd'hui, cette Passante qui est passée mais qui aussi bien passera demain, peut-être, notre principale expérience, dans notre donné contemporain l'une des dernières chances où fonder notre espoir. Que Baudelaire sût qu'il fondait dans « A une passante » ce qui allait devenir le mythe de l'époque moderne, c'est vérifiable au ciel livide de nouveau monde, à l'ouragan d'origine - où il tombe, témoin, initiateur - et aux renoncements qu'il voulut y accomplir, pour nous qui devons les comprendre et les faire nous servir. Ce n'est que depuis peu d'années que nous commençons à connaître cette réalité dont le poète fit solitairement l'épreuve dans Les Fleurs du Mal de 1861 : que la ville moderne, la grande ville industrielle - on l'a dit à propos de « Chacun sa chimère » - est un « désert » '. Douloureuse découverte, que son auteur voulut un devoir, une intention morale. Avant elle, les romans policiers ou noirs avaient nourri la fiction d'une cité aux bizarres souterrains, aux secrets séduisants. Et Baudelaire n'y fut pas insensible, au contraire il aima ce mensonge, fasciné qu'il était par tout ce qui se cache, toute profondeur à retrouver. Plus tard le portrait du héros énergique, mais légendaire, que les romanciers visionnaires inventèrent dans Paris, ce fantôme du conquérant superbe dont l'immense stature domine l'immense ville, également séduira celui pour qui le dandysme était l'héroïsme des capitales. Cependant ces mirages, récits faciles, qui devinrent les lieux communs de la littérature et de la sensibilité collective, et que le poète fit siens parce qu'ils étaient neufs, sont dépassés dans les « Tableaux parisiens » par l'intuition tout autre du « désert », de la multitude qui est solitude. « A une passante » désigne le mythe littéraire pour ce qu'il est, un leurre n'étreignant pas la réalité, et informe par-delà le xrxe siècle la modernité d'aujourd'hui, en nommant la hantise du plein jour et le spectre de la rue : cet « imprévu qui se montre », cet « inconnu qui passe »2. On sait la faim insatiable de l'Homme des Foules : « Finalement, il se précipite à travers cette foule à la recherche d'un inconnu dont la physionomie entrevue l'a, en un clin d'oil, fasciné »3. La fiction d'un Paris-Babylone s'efface ici devant le mythe vrai - explication du monde et histoire exemplaire pour la pratique du réel - d'un Paris-* Saharah » ', terre gaste dont l'oasis à découvrir est autrui, le « monstre grotesque »2, Passante ou triste cygne boitant dans la ville qui l'a dépossédé. Aux féeries des capitales enchanteresses se substitue notre monde véritable et combien plus difficile : aridité, sous le décor enivrant, d'une rue qui hurle que les hommes d'Occident seront dorénavant privés tant des lumières premières - forêts, sources anéanties - que de leurs éphémères remplacements romanesques. Mais cette radicale mutation du lieu est une aventure de la conscience. Le nouveau mythe, où s'identifient « la vie tumultueuse des rues et l'angoisse confinée dans un domicile dévasté »3, impose de nouvelles valeurs, inouïes, et que soit transgressée du plus violent coup d'aile - ce fut le risque pris par Baudelaire - l'ancienne vision du monde. Tel est l'esprit du temps nouveau, qui décide que l'errance n'est plus la quête de l'unité perdue, ou du paradis retiré, mais pauvrement sous les nuages sans regard, qu'elle n'est que du fait qu'une occasion simple, matérielle et de la durée de la vie, a été manquée. C'est une faute encore qui vient d'être commise, mais elle n'a pas de gloire et pas de juge : frop tard. Il n'y a plus pour au moins partager le drame, de récit collectif préservant l'idée d'une vie antérieure, et il n'y a plus pour lire le silence étemel comme signe du Dieu caché, de tradition religieuse. Non, la nouvelle faute n'arrête ni ne commence rien, n'étoffe nulle théologie ni n'oriente nulle vocation, car elle n'est presque rien. Une « morne incuriosité » (comme dit le deuxième « Spleen »4) dans l'ordinaire du temps, un défaut de hardiesse quand parut la bonne chance, seulement un moment de sommeil - devant autrui - voici tragiquement inutile la cause nouvelle de l'exil. Et celui-ci maintenant n'est plus le tribut à payer ni le paradoxe du salut, mais grand deuil vain, toute notre condition inqualifiable, sans raison et sans but révélés, dans des rues assourdissantes, violentes, disons sans voix. En remplaçant la chute marquée du sceau divin, par la simple disparition d'autrui dans la foule anonyme, et le péché fécond par l'impuissance, et la belle nostalgie des origines par l'attente dans l'absence, Baudelaire sut que seul le même hasard, « divin Hasard » selon « L'Horloge »5, pourrait à nouveau proposer le sens, cet absolu contingent et immanent au lieu. Peut-être, écrit-il : non perdue mais partie, non arcadienne mais citadine, ce n'est plus la plénitude qui est à retrouver, ni l'harmonie qui est à rebâtir, c'est la personne qui est à rencontrer soudainement, à aimer dans l'instant de son passage improbable. Cependant le poème, lui, ne peut-il rien? Dans cette condition noire que l'histoire moderne impose à la conscience encerclée (autour de moI), faut-il penser que la vérité, la joie, ne soient qu'à attendre passivement sous le bruit de l'horloge, et que rien d'autre que la chance aveugle, extérieure et impréparable, ne préside à une existence, fût-elle de poète? En effet Baudelaire a beaucoup désespéré de ne pas croire au « décret des puissances suprêmes » ', à la grâce. Pourtant non, « A une Passante » n'est pas qu'une cloche fêlée sur le désert d'ennui et résonne au-delà de ses mots, de son échec, comme un espoir et un appel. Car dans ce poème le plus transparent des Fleurs du Mal le poète a conçu un autre horizon que celui des formes, pour que dans l'abandon et la perte irrémédiable un remède précisément vaille d'être au moins voulu. La banalité du thème de ce sonnet, ses « locutions vulgaires »2 et sa forme renforçant l'ordinaire du thème par un prosaïsme évident, sont à reconnaître pour les renoncements que le poète eut à faire au creux de la dépossession. Ici la littérature, ses beautés, ses pouvoirs, son obscurité indispensable ou sa suggestive harmonie, et l'excès ou la profondeur de quelque intention visionnaire, sont quittés pour la parole commune. Dans l'expérience et l'écriture d'« A une passante », Baudelaire se déprend de son souci d'esthète et de son drame singulier, de la beauté idéale et de la beauté satanique. Ce renoncement est l'acte par lequel il crée la poésie moderne, entendue comme avancée de la conscience vers le réel du temps d'ici, engagement éthique par la proposition de valeurs partageables, volonté d'échange. Les lieux communs d'« A une passante » - « rien de plus beau que le lieu commun », dit Fusées3 - sont des fidélités à la condition citadine de l'époque qui vient, à la condition commune. Et l'exemplaire charité des « Tableaux parisiens » devant les blessés de la vie n'eût peut-être été sans « A une passante » qui la rend à l'universel, sans cette adhésion - par-delà les puissances du poète qui sont les limites du poète - au désordre et au discontinu, que la démarche encore non fondatrice d'une sympathie privée. Sauf par sa destinataire affichée, ce poème sera lu par tous, parce que sa vocation - autrui que le désert avale, qu'un dialogue sauvera - infiniment le dépasse. En ce point nous pouvons demander pourquoi le poète ne rejoint pas la Passante. A cette question les réponses différentes devraient évoquer quelques-uns des conflits où l'esprit moderne de poésie parfois a puisé sa vigueur, parfois s'est dangereusement complu. Dans cette impossibilité où Baudelaire s'est trouvé - mais s'est déclaré - d'aimer le premier venu, d'accepter la présence et la proposition d'autrui, gît le tragique de l'écriture : dans cette séparation d'avec le temps qui s'ouvre, partageable, quand la volonté était de se sauver, ici et maintenant, dans ce temps qui se ferme. L'évidente censure psychologique ne peut servir que comme premier palier d'interprétation. Il n'y a pas à douter que Baudelaire aimait les veuves en grand deuil pour cette raison souvent invoquée que sa mère, à ses yeux d'éternel exclu des amours enfantines, ne garda pas assez longtemps le deuil après la mort du père. Mais cette identification indéniable, de la Passante à la mère regrettée, suggéra d'autres mouvements à la lucidité baudelai-rienne. La correction pour l'édition de 1861 à la version publiée dans L'Artiste en 1860 - au dixième vers : « m'a fait soudainement renaître », remplaçant : « m'a fait souvenir et renaître » - est de l'esprit le moins dupe, qui se libère de lui-même, et sait devoir déceler sous ses mélancolies strictement personnelles l'espérance de chacun. Cette correction vient du vouloir universel, dépassant les angoisses singulières : décision de transmuer la mort mauvaise - ce qu'est la mélancolie - en mort à traverser - le deuil - dont l'expérience de l'instant grave le chiffre. Rejoindre la Passante, cette douleur majestueuse qui est la mère, est certes une tentation que la censure odipienne interdit, et que le moi créateur, qui bénéficie de cette censure et se nourrit de solitude, redoute et repousse. Cependant ces batailles dont l'inconscient baudelairien fut le siège n'intéressent qu'en vertu du pouvoir de solidarité, de communion, que leur donna l'intention du poète, sue misérable mais voulue salvatrice. La solitude de Baudelaire, en vérité, s'explique par l'écriture même, par la postulation esthétique, qui contient la censure pour la transformer en images et produit symboliquement l'unité provisoire du moi lyrique. La vraie tension spirituelle et la dernière cause de l'échec résident ailleurs qu'en ces souvenirs : dans leur transformation en écriture, dont la vérité brève échappe sitôt que la découpe du temps la suffisance de l'ouvre. Une seconde raison psychologique pour expliquer l'immobilité du poète - comme un extravagant - semble plus suggestive : celle de l'identification du sujet lui-même à la Passante, repérable au ciel livide, que le poème « Horreur sympathique », publié en même temps qu'« A une passante », nomme aussi, comme un reflet de l'enfer intérieur et de la destinée éternellement solitaire1. Cet « incomparable privilège » qu'a le poète d'être simultanément « lui-même et autrui »2, origine de la création, est aussi bien la faute. Car l'identification que l'ouvre réclame du moi à autrui, implique le refus de la différence entre l'un et l'autre, devient une appropriation ou une consommation de l'autre : mouvement qu'oriente la vocation poétique mais par lequel le poète dénie à l'autre son irréductibilité, son altérité même. L'égocentrisme du dandy s'interdisant les émotions naturelles, triomphe dans l'identification à autrui, forme de l'aliénation d'autrui. Laissant passer la Passante, Baudelaire ne la laisse pas à elle-même : au contraire c'est alors qu'il l'abolit, faisant s'éloigner avec elle sa capacité spécifique de résister à l'identification. Laissant passer la Passante, alors il la prend, la déprenant d'elle-même dans les mailles du projet d'écriture, alors il la possède, par les mots, mais l'ayant dépossédée. Ne pas rejoindre la Passante est bien la condition indispensable pour que le moi se change en l'autre et réciproquement : défaite respective des différences respectives, défaite de l'amour existentiel, pour qu'une idéale unité ait lieu dans l'intemporalité de la forme écrite. C'est donc en celle-ci, comme « art d'échapper à la vie journalière » ', qu'il faut décidément chercher - une dernière fois - les véritables raisons de l'échec baudelairien, « A une passante » étant l'un des poèmes des Fleurs du Mal où se montre le mieux, active, la conscience qu'avait leur auteur, des dangers de la forme et du rêve, du « chancre » que peut devenir « la passion frénétique de l'art »2. Dans ce sonnet, dans la captivité de ses images, écoutons le conflit de l'esthète et de l'éthicien. L'esthète a pensé se défendre de la Passante - celle, inadmissible, qui le ramenait à la vie journalière, et exigeait qu'il renonçât au goût pour l'échec dont le poème a besoin - en la souhaitant et presque en la croyant comparable à 1' « ombre qui passe » à la jouissance facile qui détourne le poète de son devoir et le conduit au remords. D'une part le regret de ne l'avoir pas rejointe perce dans l'agressivité de l'avant-demier vers : « tu fuis » est une tentative malheureuse pour transférer sur l'autre la responsabilité du manquement. D'autre part l'effort pour occulter ce dernier est visible quand l'écrivain, jouant des mots, permet à ceux-ci de représenter la Passante, évidemment le salut, comme une proposition du sommeil, un opium divertissant. Le vers, au centre du poème : La douceur qui fascine et le plaisir qui tue. avec ses présents omnitemporels qui n'ont du présent de l'existence que l'apparence, précipite l'hésitation la moins honnête, la plus dangereuse. Là se glissent les falsifications séductrices de l'écriture, et là, profitant de l'ambiguïté des mots, l'esthète s'est trouvé tout proche d'une hypocrisie rassurante. La fascination n'est-elle pas, entre l'indifférence de la distance et la liberté de l'adhésion, ce qui mortellement pétrifie? Et le plaisir n'est-il pas - peut insinuer le même narcissisme - un chemin de l'oubli, une fuite dans la fausse éternité de l'instant ? Ceci, que la Passante est une Méduse, qu'elle détourne du vrai et tue de la mort inutile, comme aisément les mots en viennent à le dire, à le souffler dans l'oreille endolorie, si prompte à l'entendre! Et Baudelaire ne sut plus, à l'occasion de ce vers, si la Passante était réellement l'amie des jours heureux ou au contraire, comme d'autres femmes souvent rencontrées, la provisoire complice d'un soir sans lune, encore l'ivresse, dont il faut se réveiller dans l'horreur, « D'endormir la douleur sur un lit hasardeux ». Ainsi, il fut tenté par la fable, le mensonge à lui-même. Si pénible est le regret, si déchirantes la volonté de rejoindre la disparue et la certitude qu'il est trop tard, et si persuasifs sont les mots, qui réconfortent. De ce mouvement de la mauvaise foi voulant se justifier et ne pas désespérer pour toujours, et découvrant dans les ruses de l'écriture sa facilité et son miroir, l'esthète s'est laissé suggérer que la Passante n'était qu'une échappatoire et qu'il fit bien, alors, de n'avoir pas « voulu changer de place »2. Mais l'éthicien n'a qu'hésité, a résisté au chant des sirènes. Le dixième vers : « Dont le regard m'a fait soudainement renaître », répond au huitième, comme la certitude que l'amour lave le désir, répond à l'angoisse devant la Méduse, et non seulement y répond mais la transcende et l'affirme nécessaire. Le moi qu'il tue, ce regard de l'autre le fait renaître. Le narcissisme qu'il menace, autrui l'admet et le libère. Non, la Passante n'est ni la fascination négative ni le sommeil fautif, ni la violence ni le divertissement, mais l'indispensable mort du moi dans le partage d'amour, et, dans le temps qu'elle oriente, l'origine. Les deux dernières strophes d' « A une passante » rompent la linéarité du récit, en suspendent l'harmonie : ici l'éthicien surmonte le doute, et sait l'écriture responsable. C'est la fatalité de la forme, la détermination artiste qui empêcha Baudelaire de consentir aux conditions du bonheur, c'est l'art d'échapper à la vie journalière : Un jour cependant, malgré tous les inconvénients de son délire volontaire et systématique, le bonheur, le vrai bonheur, s'offre à lui, voulant être accepté et ne se faisant pas prier; cependant il faudrait, pour le mériter, satisfaire à une toute petite condition, c'est-à-dire avouer un mensonge. Démolir une fiction, se démentir, détruire un échafaudage idéal, même au prix d'un bonheur positif, c'est là un sacrifice impossible pour notre rêveur ! Il restera pauvre et seul, mais fidèle à lui-même, et s'obstinera à tirer de son cerveau toute la décoration de sa vie. Ces lignes ont été écrites en 1859, autour du moment où Charles Baudelaire - « Dans Paris son désert vivant sans feu ni lieu »2 - croisa une femme qu'il nomma une Passante. Elles développent sur le mode réflexif ce qui s'entrevoit dans les brisures du sonnet, dans les ruptures du poème, où commence la poésie. De même, dans le Salon de 1859, cette citation de Chateaubriand se souvenant d'Ovide : « l'inutilité des talents pour le bonheur! »3. Baudelaire revit dans « A une passante » que la forme est un mensonge - elle décore le deuil par la noblesse de qui le porte, elle fige en statue le geste d'un corps mortel - et donc un empêchement à l'existence incarnée, une fidélité à l'échec. Le désir de peindre, dit Le Spleen de Paris, est un désir de mourir. La recherche frénétique de l'inconnu, dit Le Peintre de la vie moderne, est une passion fatale. Le goût exclusif pour l'éclair instantané, pour la beauté fugitive, pour les suggestions de la robe, de la jambe, « A une passante » dit, de même, qu'il est un leurre, le mensonge de qui substitue une image à un visage, ou une idole éphémère à une femme aimante, ou une apparence de ciel infini au regard humain, - une ouvre à une personne. Alors Baudelaire osa, parce que l'élection de la forme est la faute, incriminer la forme. Les deux derniers vers d' « A une passante », bouleversants, dans la clôture de leur rythme et la faiblesse de leur rime, dans leur formule résolument rêveuse, dénoncent la prétention artistique, cette fatalité de séparation que la poésie d'aujourd'hui a pour devoir de comprendre et de guérir. L'ultime sacrifice du poète des Fleurs du Mal est ici - en puissance, à faire, impossible et nécessaire - celui du poème à la poésie. En son temps et son lieu, Baudelaire ne pouvait rejoindre la Passante ; il s'exténua à nous dire pourquoi, abîmant le poème au point, plus tard, de ne pouvoir plus parler, et nous invitant à nous ressaisir par la poésie, en dépit de notre vertige devant le vide des apparences dans la ville désormais sans fin, comme la Passante l'avait dessaisi de lui-même, pour que devant un visage du temps fini, l'audace absolue, celle de l'échange dans l'amour de ce qui est, nous revienne toujours possible. |
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Charles Baudelaire (1821 - 1867) |
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Portrait de Charles Baudelaire | |||||||||
BiographieCharles Baudelaire, né à Paris en 1821, a six ans lorsqu'il perd son père, un peintre fantasque et cultivé, ancien prêtre assermenté. Sa mère se remarie avec le futur général Aupick, union que l'enfant qui rêve, de Lyon à Paris, au gré des garnisons, en de tristes internats, d'être « tantôt pape, tantôt comédien », accepte mal. Reçu au baccalauréat, tandis que son beau-père est nommé général de br RepÈres biographiques |
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