Clément Marot |
Jadis ma plume on vit son vol étendre Au gré d'amour, et d'un bas style et tendre Distiller dits que soûlais mettre en chant. Mais un regret de tous côtés tranchant Lui fait laisser cette belle coutume Pour la tremper en encre d'amertume. Ainsi le faut, et quand ne le faudrait, Mon cour (hélas) encore le voudrait ; Et quand mon cour ne le voudrait encore, Outre son vueil contraint y serait ore Par l'aiguillon d'une mort qui le point. Que dis-je mort? D'une mort n'est-ce point, Ains d'une amour. Car quand chacun mourrait, Sans vraie amour plaindre on ne le pourrait. Mais quand la mort a fait son maléfice, Amour adonc use de son office, Faisant porter aux vrais amis le deuil, Non point un deuil de feintes larmes d'oil, Non point un deuil de drap noir annuel, Mais un deuil teint d'ennui perpétuel ; Non point un deuil qui dehors apparaît, Mais qui au cour sans apparence croît. Voilà le deuil qui a vaincu ma joie. C'est ce qui fait que toute rien que je oie Me sonne ennui. C'est ce qui me procure Que couleur blanche à l'oil me soit obscure Et que jour clair me semble noire nuit, De tel façon que ce qui tant me nuit Corrompt du tout le naïf de ma Muse, Lequel de soi ne veut que je m'amuse A composer en triste tragédie ; Mais maintenant force m'est que je die Chanson mortelle en style plein d'émoi, Vu qu'autre cas ne peut sortir de moi. De mon cour donc l'intention totale Vous contera une chose fatale, Que je trouvai d'aventure malsaine, En m'en venant de Loire droit à Seine, Dessus Tourfou. Tourfou jadis était Un petit bois où la mort commettait Meurtres bien grands sur ceux qui chemin tel Voulaient passer. En cestui lieu mortel, Je vis la mort hideuse et redoutée Dessus un char en triomphe montée, Dessous ses pieds ayant un corps humain Mort à l'envers, et un dard en la main. De bois mortel, de plumes empenné D'un vieil corbeau, de qui le chant damné Prédit tout mal ; et fut trempé le fer o En eau de Styx, fleuve triste d'Enfer. La mort, en lieu de sceptre vénérable, Tenait en main ce dard épouvantable Qui en maint lieu était teint et taché Du sang de cil qu'elle avait submarché. Ainsi debout sur le char se tenait, Qu'un cheval pâle en hennissant traînait, Devant lequel cheminait une fée, Fraîche, en bon point, et noblement coiffée, Sur tête rase ayant triple couronne Que mainte perle et rubis environne. Sa robe était d'un blanc et fin samis Où elle avait en pourtraiture mis, Par trait de temps, un million de choses, Comme châteaux, palais et villes closes, Villages, tours et temples et couvents, Terres et mers et voiles à tous vents, Artillerie, armes, hommes armés, Chiens et oiseaux, plaines et bois rames ; Le tout brodé de fine soie exquise, Par main d'autrui torse, teinte et acquise. Et pour devise au bord de la besogne Etait écrit : « Le feu à qui en grogne. » Ce néanmoins sa robe elle mussait Sous un manteau qui humble paraissait, Où plusieurs draps divers furent compris De noir, de blanc, d'enfumé et de gris, Signifiant de sectes un grand nombre Qui sans travail vivent dessous son ombre. Cette grand dame est l'église Romaine Qui ce corps mort jusques au tombeau mène, La croix devant, en grand cérémonie, Chantant motets de piteuse harmonie. Une autre dame au côté droit venait, A qui trop peu de chanter souvenait ; D'un haubin noir de parure tannée Montée était ; la plus triste et tannée Qui fût alors sous la hauteur célique. Hélas ! c'était française République, Laquelle avait en maints lieux entamé » Son manteau bleu, de fleurs de lys semé. Si dérompait encor de toutes parts Ses beaux cheveux sur elle tous épars. Et pour son train ne menait avec elle Sinon douleur, ennui et leur séquelle Qui la servaient de tout cela qui duit Quand au sépulcre un ami on conduit. De l'autre part cheminait, en grand peine, Le bonhommeau Labeur, qui en la plaine Avait laissé boufs, charrue et culture, Pour ce corps mort conduire en sépulture. Mais bien lava son visage hâlé De force pleurs, ains que là fût allé. Lors je, voyant telle pompe mondaine, Présupposai en pensée soudaine Que là gisait quelque prince de nom, Mais tôt après fus averti que non ; Et que c'était un serviteur royal Qui fut jadis si prudent et loyal Qu'après sa mort son vrai seigneur et roi uo Lui ordonna ce beau funèbre arroi, Montrant au doigt que bien d'amour desservent De leurs seigneurs les servants qui bien servent. Et comme sus-jc alors qui était l'homme? Autour de lui ne vois qui le me nomme. Et m'en enquicrs, mais le cour qui leur fend Toute parole à leur bouche défend. Si vous dirai comment doneques j'ai su Le nom de lui : ce char que j'aperçus N'était paré de rouge, jaune ou vert, Mais tout de noir par tristesse couvert; Et le suivaient cent hommes en douleur, Vêtus d'habits de semblable couleur, Chacun au poing torche qui feu rendait, Et où l'écu du noble mort pendait. Lors, curieux, piquai pour voir les armes, Mais telle vue aux yeux me mit les larmes, Y voyant peinte l'aile sans pair à elle. Dieu immortel, dis-jc lors, voici l'aile Qui a volé ainsi que voler faut Entre deux airs, ne trop bas ne trop haut. Voici, pour vrai, l'aile dont la volée, Par sa vertu, a la France extollée, Circonvolant ce monde spacieux Et survolant maintenant les neuf cicux. C'est l'aile noire en la bande dorée, L'aile en volant jamais non essorée, Et dont sortie est la mieux écrivant Plume qui fût de notre âge vivant. C'est celle plume où modernes esprits Sous ses patrons leur savoir ont appris. Ce fut la plume, en sage main baillée, Qui ne fut onc (comme je crois) taillée Que pour servir en leurs secrets les rois ; Aussi de rang elle en a servi trois ", En guerre, en paix, en affaires urgents, Au gré des rois et profit de leurs gens. O vous humains qui écoutez ma plainte, Qui est celui qui eut cette aile peinte En son écu? Vous en faut-il douter? Sentez-vous point, quand venez à goûter Ce que j'en dis en mon triste motet, Que c'est le bon Florimond Robertet? En est-il d'autre en la vie mortelle Pour qui je disse une louange telle ? Non, car vivant de son art n'en approche ; Or est-il mort, serviteur sans reproche. Ainsi, pour vrai, que mon cour et ma langue Disaient d'accord si piteuse harangue, La fière mort, sur le char séjournée, Sa face pâle a devers moi tournée, Et à bien peu qu'elle ne m'a rué Le même dard dont elle avait tué Celui qui fut la toute ronde sphère Par où guettais ma fortune prospère. Mais tout à coup tourna sa vue oblique Contre et devers française République, Qui l'irritait, maudissait et blâmait D'avoir occis celui qui tant l'aimait. Adonc la mort, sans s'effrayer, l'écoute, Et République hors de l'estomac boute Les propres mots contenus ci-après, Avec sanglots s'entresuivant de près. |
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Clément Marot (1496 - 1544) |
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Portrait de Clément Marot | |||||||||
BiographieClément Marot naquit à Cahors en 1496. Son père, grand poète rhétoriqueur, avait été le protégé d'Anne de Bretagne , femme de Louis XII. Page dès 1515, il se mêle à la joyeuse confrérie des Clercs de la Basoche, compose en 1515 le poème allégorique le Temple de Cupido et devient valet de chambre et secrétaire de Marguerite, duchesse d'Alençon, sour du roi. Il rencontre chez elle des penseurs réfo ChronologieÉvénements historiquesOrientation bibliographique |
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