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Clément Marot |
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MELIBEE Toi Tityrus, gisant dessous l'ormeau Large et épais, d'un petit chalumeau Chantes chansons rustiques en beaux chants : Et nous laissons (maulgré nous) les doux champs Et nos pays. Toi, oisif en l'ombrage, Eais résonner les forêts, qui font rage De rechanter après ta chalemelle La tienne amie Amaryllis la belle. TITYRUS O Mélibée, ami cher et parfait, Un Dieu fort grand ce bien ici m'a fait, Lequel aussi toujours mon Dieu sera, Et bien souvent son riche autel aura Pour sacrifice un agneau le plus tendre Qu'en mon troupeau pourrai choisir et prendre Car il permet mes brebis venir paître (Comme tu vois) en ce beau lieu champêtre, Et que je chante en mode pastorale Ce que voudrai, de ma flûte rurale. MÉLIBÉE Je te promets que ta bonne fortune Dedans mon cour ne met envie aucune : Mais m'ébahis, comme en toutes saisons Malheur nous suit en nos champs et maisons. Ne vois-tu point, gentil berger, hélas ! Je tout malade, et privé de soûlas, D'un lieu lointain mène ci mes chevrettes Accompagnées d'agneaux et brebiettes. Et (qui pis est) à grand labeur je mène Celle que vois tant maigre en cette plaine, Laquelle était la totale espérance De mon troupeau. Or n'y ai-je assurance : Car maintenant (je te promets) elle a Fait en passant, près de ces coudres-là, Qui sont épais, deux gémeaux agnelets, Qu'elle a laissés (moi contraint) tout seulets, Non dessus l'herbe ou aucune verdure, Mais tout tremblants dessus la pierre dure. Ha Tityrus (si j'eusse été bien sage), Il me souvient que souvent, par présage, Chênes frappés de la foudre des cieux Me prédisaient ce mal pernicieux. Semblablement, la sinistre corneille Me disait bien la fortune pareille. Mais je te prie, Tityrc, conte-moi Qui est ce Dieu, qui t'a mis hors d'émoi ? TITYRUS Je sot cuidais, que ce que l'on dit Rome Fût une ville ainsi petite, comme Celle de nous : là où maint agnelet Nous retirons, et les bêtes de lait. Mais je faisais semblables à leurs pères Les petits chiens, et agneaux à leurs mères, Accomparant (d'imprudence surpris) Chose petite à celle de grand prix : Car (pour certain) Rome noble et civile Lève son chef par sus toute autre ville, Ainsi que font les grands et hauts cyprès Sur ces buissons que tu vois ici près. MÉLIBÉE Et quel motif si exprès t'a été D'aller voir Rome ? TITYRUS Amour de liberté : Laquelle tard toutefois me vint voir; Car ains que vint, barbe pouvais avoir. Si me vit-elle en pitié bien exprès, Et puis je l'eus assez longtemps après : C'est assavoir si tôt qu'eus accointée Amaryllis et laissé Galathée. Certainement je confesse ce point Que, quand j'étais à Galathée joint, Aucun espoir de liberté n'avais, Et en souci de bétail ne vivais ; Voire et combien que maintes fois je fisse De mes troupeaux à nos dieux sacrifice, Et nonobstant que force gras fourmage Se fit toujours en notre ingrat village : Pour tout cela, jamais jour de semaine Ma main chez nous ne s'en retournait pleine. MÉLIBÉE O Amarille, moult je m'émerveillais Pourquoi les Dieux d'un cour triste appelais : Et m'étonnais pour qui d'entre nous hommes Tu réservais en l'arbre tant de pommes. Tityrc lors n'y était (à vrai dire), Mais toutefois (ô bien heureux Tityre) Les pins très hauts, les ruisseaux qui coulaient, Et les buissons adoneques t'appelaient. tityrus Qu'eussé-je fait, sans de chez nous partir ? Je n'eusse pu de service sortir, N'ailleurs que là, n'eusse trouvé des Dieux Si à propos, ne qui me duissent mieux. Là (pour certain) en état triomphant (O Mélibéc) je vis ce jeune enfant : Au los de qui notre autel par coutume Douze fois l'an en sacrifice fume. Certes c'est lui qui premier répondit A ma requête, et en ce point me dit : « Allez, enfants, menez paître vos boufs, Comme devant, je l'entends et le veux : Et faites joindre aux vaches vos taureaux. » MÉLIBÉE Heureux vieillard sur tous les pastoureaux, Doncques tes champs par ta bonne aventure Te demeurront, et assez de pâture, Quoique le roc d'herbe soit dépouillé, Et que le lac de bourbe tout souillé Du jonc limeux couvre le bon herbage, Ce néanmoins le mauvais pâturage Ne nourrira jamais tes brebis pleines : Et les troupeaux de ces prochaines plaines Désormais plus ne te les gâteront, Quand quelque mal contagieux auront. Heureux vieillard, désormais en ces prées Entre ruisseaux et fontaines sacrées A ton plaisir tu te rafraîchiras. Car d'un côté, joignant de toi auras La grand clôture à la saulsaie épaisse, Là où viendront manger la fleur sans cesse Mouches à miel, qui de leur bruit tant doux Te inciteront à sommeil tous les coups. De l'autre part, sur un haut roc sera Le rossignol, qui en l'air chantera. Mais cependant la palombe enrouée, La tourte aussi de chasteté louée, Ne laisseront à gémir sans se taire Sur un grand orme : et tout pour te complaire. TITYRUS Doncques plutôt cerfs légers et cornus Vivront en l'air, et les poissons tout nus Seront laissés de leurs fleuves taris ; Plutôt boiront les Parthes Araris Le fleuve grand, et Tigris Germanie ; Plutôt sera ma personne bannie En ces deux lieux, et leurs fins et limites Circuirai ajournées petites, Ains que celui que je t'ai raconté Du souvenir de mon cour soit ôté. MÉLIBÉE Hélas ! Et nous irons sans demeurée Vers le pays d'Afrique l'altérée. La plus grand part en la froide Scythieb Habiterons : ou irons en partie (Puisqu'en ce point Fortune le décrète) Au fleuve Oaxc impétueux de Crète. Finablcmcnt viendrons tous égarés Vers les Anglais du monde séparés. Longtemps après ou avant que je meure, Verrai-je point mon pays et demeure ? Ma pauvre loge aussi faite de chaume? Las s'il advient qu'en mon petit royaume Revienne encor, je le regarderai, Et des ruines fort je m'étonnerai. Las faudra-t-il qu'un gendarme impiteux Tienne ce champ tant culte et fructueux ? Las faudra-t-il qu'un barbare étranger Cueille ces blés? O en quel grand danger Discorde a mis et pasteurs, et marchands : Las, et pour qui avons semé nos champs ? O Mélibce, plante arbres à la ligne, Ente poiriers, mets en ordre la vigne : Hélas, pour qui ? Allez, jadis heureuses, Allez brebis, maintenant malheureuses. Après ceci, de ce grand creux tout vert, Là où souvent me couchais à couvert, Ne vous verrai jamais plus de loin paître Vers la montagne épineuse et champêtre. Plus ne dirai chansons récréatives : Ni dessous moi, pauvre chèvres chétives, Plus ne paîtrez le trèfle florissant, Ne l'aigre feuille au saule verdissant. TITYRUS Tu pourras bien (et te prie que le veuilles) Prendre repos dessus des vertes feuilles Avecques moi cette nuit seulement. J'ai à souper assez passablement, Pommes, pruneaux, tout plein de bon fruitage, Châtaignes, aulx, avec force laitage. Puis des cités les cheminées fument, Déjà le feu pour le souper allument : Il s'en va nuit, et des hauts monts descendent Les ombres grands, qui parmi l'air s'épandent. |
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Clément Marot (1496 - 1544) |
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Portrait de Clément Marot | |||||||||
BiographieClément Marot naquit à Cahors en 1496. Son père, grand poète rhétoriqueur, avait été le protégé d'Anne de Bretagne , femme de Louis XII. Page dès 1515, il se mêle à la joyeuse confrérie des Clercs de la Basoche, compose en 1515 le poème allégorique le Temple de Cupido et devient valet de chambre et secrétaire de Marguerite, duchesse d'Alençon, sour du roi. Il rencontre chez elle des penseurs réfo ChronologieÉvénements historiquesOrientation bibliographique |
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