Clément Marot |
ALEXANDRE O Annibal, mon haut cour magnanime Ne peut souffrir que par gloire sublime Veuilles marcher par-devant mes charrois, Quant à honneur et triomphants arrois. Car seulement aucun ne doit en riens Accomparer ses faits d'armes aux miens : Ains (comme nuls) est décent de les taire, Entre les Preux. ANNIBAL Je soutiens le contraire, Et m'en rapporte à Minos l'un des Dieux, Juge infernal commis en ces bas lieux A soutenir le glaive de Justice : Dont faut que droit avec raison juste isse Pour un chacun. MINOS Or me dites, Seigneurs : Qui êtes-vous, qui touchant hauts honneurs Quérez avoir l'un sur l'autre avantage ? ALEXANDRE Ci est le duc Annibal de Carthage, Et je le grand empereur Alexandre, Qui fis mon nom par tous climats épandre En subjuguant chacune nation. MINOS Certes vos noms sont en perfection Dignes des los et des gloires suprêmes : Dont décorés sont vos clairs diadèmes. Si m'ébahis, qui vous a mus ensemble Avoir débat. ALEXANDRE Minos (comme il me semble) Tu dois savoir, et n'es pas ignorant, Qu'onc ne souffris homme de moi plus grand, Ne qui à moi fût pareil, ou égal. Mais tout ainsi comme l'aigle royal Etend son vol plus près des airs célestes Que nul oiseau, par belliqueuses gestes J'ai surmonté tous humains aux harnois ; Parquoi ne veux que ce Carthaginois Ait bruit sur moi, ne côtoie ma chaise. MINOS Or convient donc que l'un de vous se taise, « Afin que l'autre ait loisir et saison Pour raconter devant moi sa raison. ANNIBAL Certes Minos, ceux je répute dignes D'être élevés jusques aux cours divines Par bon renom, qui de basse puissance Sont parvenus à hautaine accroissance D'honneur et biens, et qui nom glorieux Ont conquête par faits laborieux : Ainsi que moi, qui à peu de cohorte Me départis de Carthage la forte, Et en Sicile, où marcher désiroie, Pris et ravis, pour ma première proie, Une cité, Saragosse nommée, Des fiers Romains très grandement aimée, Que maulgré eux et leur force superbe Je pestclai aux pieds, ainsi que l'herbe, Par mes hauts faits et furieux combats. On sait aussi, comme je mis au bas Et dissipai (dont gloire j'en mérite) Des Gallicans le puissant exercite : Et par quel art, moyens, et façons cautes Taillai les monts, et les Alpes très hautes Minai et mis les rochers en rompture, Qui sont hauts murs maçonnés par Nature, Et le renfort de toutes les Itales : Auquel pays (quand mes armes ducales Y flambaient) maint ruisseau tout ordis Du sang romain que lors je y épandis ; Ce sont témoins et certaines épreuves. Si est le Pô, Tibre, et maints autres fleuves, Desquels souvent la très pure et claire onde J'ai fait muer en couleur rubiconde. Pareillement les châteaux triomphants, Par sus lesquels mes puissants éléphants Je fis marcher jusques aux murs de Rome : Et n'est décent que je raconte ou nomme Mes durs combats, rencontres martiennes , Et grands efforts par moi faits devant Cannes. Grand quantité de noblesse romaine Ruèrent jus par puissance inhumaine Lors mes deux bras, quand, en signe notoire De souverain triomphe méritoire, Trois muids d'anneaux à Carthage transmis De très fin or, lesquels furent démis Des doigts des morts, sur les terres humides Tous étendus ; car, des charognes vides De leurs esprits gisantes à l'envers, Par mes conflits furent les champs couverts : De tel façon qu'on en fit en maints lieux Ponts à passer fleuves espacieux. Par maintes fois, et semblables conquêtes, Plus que canons ou foudroyants tempêtes, Fis étonner du monde la monarche : Toujours content, quelque part où je marche, Le titre seul de vrai honneur avoir, Sans vaine gloire en mon cour concevoir, Comme cestui qui, pour occasion D'une incrédible et vaine vision La nuit dormant apparue à sa mère, Se disait fils de Jupiter le père De tous humains, aux astres honoré, Et comme dieu voulut être adoré. Ainçois, Minos, toujours et ainsi comme Petit soudard me suis réputé homme Carthaginois, qui pour heur ou malheur Ne fus atteint de liesse ou douleur. Puis on connaît comme au pays d'Afrique Durant mes jours à la chose publique Me suis voulu vrai obéissant joindre : Et que ainsi soit, ainsi comme le moindre De tout mon ost, au simple mandement De mes consorts, conclus soudainement De m'en partir, et adressai ma voie Vers Italie, où grand désir avoie. Que dirai plus ? Par ma grande prouesse Et par vertu de sens et hardiesse, J'ai achevé maints autres durs efforts, Contre et envers les plus puissants et forts. Mes étendards et guidons martiens One ne dressai vers les Arméniens Ou les Médois, qui se rendent vaincus Ains qu'employer leurs lances et écus : Mais fis trembler de main victorieuse Les plus hautains, c'est Rome l'orgueilleuse Et ses soudards que lors je combattis Par maintes fois, et non point des craintifs, Mais des plus fiers fis un mortel déluge. Et d'autre part, Minos (comme bon juge), Tu dois prévoir les aises d'Alexandre. Car dès que mort son père voulut prendre, A lui par droit le royaume survint, Et fut reçu, dès que sur terre vint, Entre les mains d'amiable Fortune, Qui ne fut onc en ses faits importune. Et s'il veut dire avoir vaincu les rois Dare et Pyrrhus par militants arrois, Aussi fut-il vaincu en ces délices De immodérés et désordonnés vices ; Car si son père aima bien en son cour Du dieu Bacchus la vineuse liqueur, Aussi fit-il : et si bien s'en troublait, Que non pas homme, ains bête ressemblait. N'occit-il pas (étant ivre à sa table) Callisthénès , philosophe notable, Qui reprenait par discrètes paroles Les siennes mours vicieuses et folles ? Certainement vice si détestable En moi (peut-être) eût été excusable, Ou quelqu'un autre, en mours et disciplines Peu introduit : mais les saintes doctrines Lues avait d'Aristotc son maître, Qui pour l'instruire, et en vertus accroître, Par grand désir nuit et jour travaillait, Et après lui trop plus qu'autre veillait. Et si plus haut élève sa personne Dont en son chef il a porté couronne, Pourtant ne doit homme duc dépriser, Qui a voulu entre vivants user De sens exquis et prouesse louable, Plus que du bien de Fortune amiable. MINOS Certes, tes faits de très claire vertu Sont décorés. En après, que dis-tu, Roi Alexandre? ALEXANDRE A homme plein d'outrage N'est de besoin tenir aucun langage : Et memement la riche renommée De mes hauts faits aux astres sublimée Assez et trop te peuvent informer Que par sus moi ne se doit renommer. Aussi tous ceux de la vie mortelle Sont connaissant la raison être telle. Mais néanmoins, pourec qu'à maintenir Los et honneur je veux la main tenir, Sache, Minos, juge plein de prudence, Qu'en la verdeur de mon adolescence, Portant en chef ma couronne invincible, Au glaive aigu pris vengeance terrible (Comme vrai fils) de ceux qui la main mirent Dessus mon père, et à mort le soumirent. Et non content du royaume qu'avoie, Cherchant honneur, mis et jetai en voie Mes étendards, et à flotte petite De combattants, par moi fut déconfite Et mise au bas en mes premiers assauts Thèbes, cité antique, et ses vassaux ; Puis subjuguai par puissance royale Toutes cités d'Achaïe et Thcssalc ", Et découpai à foison par les champs Illyriens de mes glaives tranchants, Dont je rendis toute Grèce ébahie. Par mon pouvoir fut Asie envahie : Libye pris, le Phase l surmontai. Bref, tous les lieux où passai et plantai Mes étendards (redoutant ma puissance) Furent soumis à mon obéissance. Le puissant roi Dare connut à Tharse, Par quel vigueur fut ma puissance éparse Encontre lui, quand sous lui chevauchèrent Cent mil Persois, et fièrement marchèrent Vers moi de front dessous ses étendards Bien trois cent mille piétons hardis soudards. Que dirai plus ? Quand vint à l'échauffer, Le vieil Charon, grand nautonier d'Enfer, Bien eut à faire à gouverner sa peautre Pour celui jour passer de rive en autre Tous les esprits qu'à bas je lui transmis Des corps humains qu'à l'épée je mis. A celui jour en la mortelle estorce Pas n'épargnai ma corporelle force, Car aux enfers quatre-vingt mil esprits J'envoyai lors; et si haut cour je pris Que me lançai par les flottes mortelles : De ce font foi mes plaies corporelles. Et jà ne faut laisser anéantir Mes grands combats exécutés en Tyr; Et ne convient que le los on me rase D'avoir passé le haut mont de Caucase. Un chacun sait que y fus tant employé, Que tout sous moi fut rasé et ployé. En Inde fis aborder mon charroi Triomphamment, où Pyrrhus l le fier roi (A son méchef) de mes bras éprouva La pesanteur, quand de moi se trouva Pris et vaincu. Qui plus est, je marchai En tant de lieux, qu'à la fin détranchai Le dur rocher où Hercule le fort Pour le passer en vain mit son effort '. Bref, tout battis, et vainquis sans repos, Jusques à tant que la fière Atropos , Seule cruelle ennemie aux humains, Mon pouvoir large ôta hors de mes mains. Et se ainsi est que jadis en maint lieu Fusse tenu des mondains pour un Dieu, Et du parti des Dieux immortels né, De tel erreur pardon leur soit donné : Car la hauteur de mes faits, et la gloire Qu'eus en mon temps, les mouvait à ce croire. Encore plus : tant fus fier belliqueur Que j'entrepris, et eus vouloir en cour, De tout le monde embrasser et saisir, Si fière mort m'eût prêté le-loisir. Or çà, Minos : je te supplie, demande A Annibal (puisqu'il me vilipende De doux plaisirs) si plus il est records De ses délicts de Capue ', où son corps Plus débrisa aux amoureux alarmes Qu'à soutenir gros bois, haches et armes. Ne fut sa mort méchante et furibonde, Quand par dépit de vivre au mortel monde Fut homicide et bourreau de soi-mêmes, En avalant les ords venins extrêmes ? Et pour montrer sa méchance infinie, Soit demandé au roi de Bithynie (Dit Prusias) vers lequel s'enfuit, S'il fut jamais digne de los et bruit. Un chacun sait qu'il fut le plus poilu De tous plaisirs, et le plus dissolu : Et que par fraude et ses trahisons feintes Il est venu de son nom aux atteintes. Plusieurs grands faits il fit en maintes terres : Mais qu'est-ce au prix de mes bruits et tonnerres ? À tous mortels le cas est évident Que si jugé n'eusse tout Occident Etre petit ainsi que ïhessalie, J'eusse pour vrai (en vainquant l'Italie) Tout conquête sans occision nulle Jusques au lieu des Colonnes d'Hercule l. Mais (pour certain) je n'y daignai descendre : Car seulement ce haut nom Alexandre Les fit mes serfs redoutant mes merveilles. Parquoi, Minos, garde que tu ne vucilles Devant le mien son honneur préférer. SCIPION Entends ainçois ce que veux proférer, Juge Minos. MINOS Comment es-tu nommé ? SCIPION Scipion suis l'Africain surnommé , Homme romain, de noble expérience. MINOS Or parle donc : je te donne audience. SCIPION Certes mon cour ne veut dire ou penser Chose pourquoi je désire exaucer La grand hauteur de mes faits singuliers Par sus ces deux belliqueux chevaliers : Car je n'eus onc de vainc gloire envie. Mais s'il te plaît, Minos, entends ma vie. Tu sais assez que de mes jeunes ans Faits vicieux me furent déplaisants, Et que Vertu je voulus tant chérir Que tout mon cour se mit à l'acquérir, Jugeant en moi science peu valoir, Si d'un haut vueil, et par ardent vouloir D'acquérir bruit et renom vertueux, N'est employée en ouvres fructueux. Bref, tant aimai Vertu que des enfance Je fus nommé des Romains l'espérance. Car quand plusieurs du Sénat, ébahis De crainte et peur, à rendre le pays Par maintes fois furent condescendants, Je de haut cour, et assez jeune d'ans, Saillis en place, ayant le glaive au poing, Leur remontrant que pas n'était besoin Que le clair nom, que par peine et vertu Avions acquis, fut par honte abattu, Et que celui mon ennemi serait Qui la sentence ainsi prononcerait. Lors estimant cela être un présage, Et que les Dieux pour le grand avantage Du bien public, m'avaient donné haut cour En âge bas, comme un fort belliqueur Fus élu chef de l'armée romaine; Dont sur le champ de bataille inhumaine Je fis jeter mes bannières au vent, Et Annibal pressai tant et souvent Qu'avec bon cour et bien peu de conduite Le fis tourner en trop honteuse fuite, Tant qu'en la main de Rome l'excellente Serve rendis Cartilage l'opulente. Et toutefois les romains consistoires, Après mes grands et louables victoires, Aussi humain et courtois m'ont trouvé Qu'avant que fusse aux armes éprouvé. Tous biens mondains prisai moins que petit, L'amour du peuple était mon appétit, Et d'acquérir maints vertueux offices A jeune Prince honnêtes et propices. Et d'autre part, de Carthage amenai Maints prisonniers, lorsque j'en retournai Victorieux ; desquels en la présence Par moi fut pris le poète Térence . Dont aux Romains mon fait tant agréa Qu'en plein Sénat censeur on me créa. Ce fait, Asie et Libye courus ; D'Egypte et Grèce à force l'amour eus. Et qu'ainsi soit, sous querelle très juste Par plusieurs fois ma puissance robuste Ont éprouvé. Puis je consul voyant Le nom romain, jadis reflamboyant, Lors chanceler, soi ternir et abattre, Pour l'élever fus conquérir et battre Une cité de ibrec et biens nantie Dite Numance, es Espagnes bâtie. Trop long serait (Minos) l'entier déduire De mes hauts faits, qu'on verra toujours luire. Et d'autre part, simple vergogne honneste D'en dire plus en rien ne m'admoneste. Parquoi à toi en laisse la choison Qui sais où sont les termes de raison. Si t'avertis qu'onques malheur en riens Ne me troubla ; ne pour comble de biens Que me donnât la Déesse fatale, Close ne fut ma main très libérale. Bien l'ont connu, et assez le prouvèrent Après ma mort ceux qui rien ne trouvèrent En mes trésors des biens mondains délivres, Fors seulement d'argent quatre-vingts livres. Des Dieux aussi la bonté immortelle M'a bien voulu douer de grâce telle Que cruauté et injustice au bas Je déjetai, et ne mis mes ébats Aux vanités, et doux plaisirs menus De Cupido le mol fils de Vénus, Dont les déduits et mondaines enquêtes Nuisantes sont à louables conquêtes. S Tous lesquels mots je ne dis pour tâcher A leur honneur confondre, ou submarcher, Ainçois le dis, pour toujours en prouesse Du nom romain soutenir la hautesse ; Dont tu en as plus ouï référer Que n'en pourrait ma langue proférer. LA SENTENCE DE MINOS Certainement vos martiaux ouvrages Sont achevés de très ardents courages. Mais si ainsi est que par vertu doive être Honneur acquis, raison donne à connaître Que Scipion jadis fuyant délices, Et non saillant de Vertu hors des lices, D'honneur dessert le titre précieux Devant vous deux, qui fûtes vicieux. Parquoi jugeons Scipion précéder, Et Alexandre Annibal excéder. Et si de nous la sentence importune Est à vous deux, demandez à Fortune S'clle n'a pas toujours favorisé A votre part. Après soit avisé Au trop ardent et outrageux désir Qu'eûtes jadis de prendre tout plaisir A (sans cesser) épandre sang humain Et ruiner de foudroyante main, Sans nul propos, la fabrique du monde. Où Raison faut, Vertu plus n'y abonde. |
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Clément Marot (1496 - 1544) |
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Portrait de Clément Marot | |||||||||
BiographieClément Marot naquit à Cahors en 1496. Son père, grand poète rhétoriqueur, avait été le protégé d'Anne de Bretagne , femme de Louis XII. Page dès 1515, il se mêle à la joyeuse confrérie des Clercs de la Basoche, compose en 1515 le poème allégorique le Temple de Cupido et devient valet de chambre et secrétaire de Marguerite, duchesse d'Alençon, sour du roi. Il rencontre chez elle des penseurs réfo ChronologieÉvénements historiquesOrientation bibliographique |
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