Clément Marot |
Las ! je ne puis ne parler, ne crier, Doux Jésus-Christ : plaise-toi délier L'étroit lien de ma langue périe, Comme jadis fis au vieil Zacharie. La quantité de mes vieux péchés bouche Mortellement ma pécheresse bouche. Puis l'ennemi des humains, en péchant, Est de ma voix les conduits empêchant ; Si que ne puis pousser dehors le crime Qui en mon cour par ma faute s'imprime. Quand le loup veut (sans le su du berger) Ravir l'agneau, et fuir sans danger, De peur du cri le gosier il lui coupe. Ainsi, quand suis au remords de ma coulpe, Le faux Satan fait mon parler rcfrcindre, Afin qu'à toi je ne me puisse plaindre ; Afin, mon Dieu, qu'à mes maux et périls N'invoque toi, ne tes saints Esperits, Et que ma langue, à mal dire apprêtée, Laquelle m'as pour confesser prêtée, Taise du tout mon méfait inhumain, Disant toujours : « Attends jusque à demain. » Ainsi sans cesse à mal va incitant Par nouveaux arts mon cour peu résistant. O mon Sauveur, trop ma vue est troublée, Et de te voir j'ai pitié redoublée, Remémorant celle bénignité Qui te fit prendre habit d'humanité; Voyant aussi de mon temps la grand perte, Ma conscience a sa puissance ouverte Pour stimuler et poindre ma pensée, De ce que j'ai ta hautesse offensée, Et dont par trop en paresse te sers, Mal recordant que t'amour ne dessers, Trop mal piteux quand vois souffrir mon proche Et à gémir plus dur que fer ne roche. Donc, ô seul Dieu, qui tous nos biens accrois, Descends (hélas) de cette haute croix Jusqucs au bas de ce tien sacré temple, À celle fin que mieux je te contemple. Pas n'est si longue icelle voie, comme Quand descendis du Ciel pour te faire homme : Si te supplie de me prêter la grâce, Que tes genoux d'affection j'embrasse, Et que je sois de baiser avoué Ce divin pied, qui sur l'autre est cloué. En plus haut lieu te toucher ne m'encline, Car du plus bas je me sens trop indigne. Mais si par foi suis digne que me voies, Et qu'à mon cas par ta bonté pourvoies, Sans me chasser comme non légitime, De si haut bien trop heureux je m'estime. Et s'ainsi est que pour soi arroser De larmes d'oil, on te puisse apaiser, Je veuil qu'en pleurs tout fondant on me treuve. Soit le mien chef dès maintenant un fleuve. Soient mes deux bras ruisseaux, où eau s'épande Et ma poitrine une mer haute et grande. Mes jambes soient torrent, qui coure roide; Et mes deux yeux, deux fontaines d'eau froide, Pour mieux laver la coulpc de moi-mêmes. Et si de pleurs et de sanglots extrêmes Cure tu n'as, désirant qu'on te serve A genoux secs, dès ors je me réserve, Et suis tout prêt, pour plus brève réponce, D'être plus sec que la pierre de ponce. Et d'autre part, si humbles oraisons Tu aimes mieux, las, par vives raisons Fais que ma voix soit plus répercussive Que celle-là d'Écho , qui semble vive Répondre aux gens et aux bêtes farouches : Et que mon corps soit tout fendu en bouches, Pour mieux à plein, et en plus de manières Te rendre grâce, et chanter mes prières. Bref, moyen n'est, qui apaiser te face, Que je ne cherche, afin d'avoir ta grâce ; Mais tant y a, que si le mien tourment Au gré de toi n'est assez véhément, Certes, mon Dieu, tout ce qu'il te plaira, Je souffrirai, comme cil qui sera Le tien sujet ; car rien ne veuil souffrir Que comme tien, qui viens à toi me offrir, Et à qui seul est mon âme sujette. Mon prier donc ennuyeux ne rejette, Puisque jadis une femme ennuyante Ne rejetas : qui tant fut suppliante, Et en ses dits si fort t'importuna, Qu'à son désir ta bonté ramena, Pour lui ôter de ces péchés le nombre, Qui tant faisaient à sa vie d'encombre. L'étroite loi que tu as prononcée Epouvanter pourrait bien ma pensée : Mais je prends cour en ta douceur immense, A qui ta loi donne lieu par clémence. Et quoique j'aie envers toi tant méfait, Que si aucun m'en avait autant fait, Je ne crois pas que pardon lui en fisse, De toi pourtant je attends salut propice, Bien connaissant que ta bénignité Trop plus grande est que mon iniquité. Tu savais bien que pécher je dévoie : M'as-tu donc fait pour d'Enfer tenir voie ? Non, mais afin qu'on connût au remède Que ta pitié toute rigueur excède. Veux-tu souffrir qu'en ma pensée aiguë De droit et lois encontre toi argue ? Qui d'aucun mal donne l'occasion, Lui-même fait mal et abusion. Ce nonobstant, tu as créé les femmes, Et nous défends d'amours suivre les flammes, Si l'on ne prend marital sacrement, Avec l'amour d'une tant seulement : Certes plus doux tu es aux bêtes toutes, Quand sous tes lois ne les contrains et boutes. Pourquoi as-tu produit pour vieil et jeune Tant de grands biens, puisque tu veux qu'on jeûne? Et de quoi sert pain et vin et fruitage, Si tu ne veux qu'on en use en tout âge ? Vu que tu fais Terre fertile et grasse, Certainement tel grâce n'est point grâce; Ne celui don n'est don d'aucune chose, Mais plutôt dam (si ce mot dire j'ose), Et ressemblons, parmi les biens du monde, A Tantalus, qui meurt de soif en l'onde. Et d'autre part, si aucun est vénuste, Prudent et beau, gorgias et robuste Plus que nul autre, est-ce pas bien raison Qu'il en soit fier, puisqu'il a l'achoison? Tu nous as fait les nuits longues et grandes, Et toutefois à veiller nous commandes. Tu ne veux pas que négligence on hante, Et si as fait mainte chose attrayante Le cour des gens à oisive paresse. Las qu'ai-je dit ? Quelle fureur me presse ? Perds-je le sens? Hélas, mon Dieu, refrein Par ta bonté de ma bouche le frein. Le dévoyé veuilles remettre en voie, Et mon injure au loin de moi envoie. Car tant sont vains mes arguments obliques, Qu'il ne leur faut réponses ne répliques. Tu veux que aucuns en pauvreté mendient, Mais c'est afin qu'en s'excusant ne dient Que la richesse à mal les a induits ; Et à plusieurs les grands trésors produis, A celle fin que de dire n'aient garde Que pauvreté de bien faire les garde. Tel est ton droit, voire et si crois que pour ce Tu fis Judas gouverneur de ta bourse; Et au regard du faux Riche inhumain, Les biens livras en son ingrate main, A celle fin qu'il n'eût faute de rien, Quand il voudrait user de mal ou bien. Mais (ô Jésus) Roi doux et amiable, Dieu très clément, et juge pitoyable, Fais qu'en mes ans ta hautessc me donne, Pour te servir, saine pensée et bonne ; Ne faire rien qu'à ton honneur et gloire, Tes mandements ouïr, garder et croire, Avec soupirs, regrets et repentance De l'avoir fait par tant de fois offence. Puis quand la vie à Mort donnera lieu, Las, tire-moi, mon Rédempteur et Dieu, Là-haut, où joie indicible sentit Celui Larron qui tard se repentit , Pour et afin qu'en laissant tout moleste, Je sois rempli de liesse céleste; Et que t'amour, dedans mon cour ancrée, Qui m'a créé, près de toi me recrée. |
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Clément Marot (1496 - 1544) |
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Portrait de Clément Marot | |||||||||
BiographieClément Marot naquit à Cahors en 1496. Son père, grand poète rhétoriqueur, avait été le protégé d'Anne de Bretagne , femme de Louis XII. Page dès 1515, il se mêle à la joyeuse confrérie des Clercs de la Basoche, compose en 1515 le poème allégorique le Temple de Cupido et devient valet de chambre et secrétaire de Marguerite, duchesse d'Alençon, sour du roi. Il rencontre chez elle des penseurs réfo ChronologieÉvénements historiquesOrientation bibliographique |
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