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Clément Marot |
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La plus dolente et malheureuse femme Qui onc entra en l'amoureuse flamme De Cupido, met cette épître en voie, Et par icelle (ami) salut t'envoie, Bien connaissant que dépite Fortune, Et non pas toi, à présent me infortune; Car si tristesse avecques dur regret M'a fait jeter maint gros soupir aigret, Certes je sais, que d'ennui les alarmes T'ont fait jeter maintes fois maintes larmes. O noble cour, que je voulus choisir Pour mon amant, ce n'est pas le plaisir Qu'eûmes alors qu'en la maison royale Du roi mon père à t'amic loyale Parlementas, d'elle tout vis-à-vis; Si te promets que bien m'était avis, Que tout le bien du monde, et le déduit N'était que deuil, près du gracieux fruit D'un des baisers que de toi je reçus. Mais nos esprits par trop furent déçus, Quand tout soudain la fatale Déesse En deuil mua notre grande liesse, Qui dura moins que celle de Dido. Car tôt après que l'enfant Cupido M'eut fait laisser mon père, puissant roi, Vînmes entrer seulets en désarroi En un grand bois, où tu me descendis, Et ton manteau dessus l'herbe étendis, En me disant : « Mamic Maguelonne, Reposons-nous sur l'herbe qui fleuronne, Et écoutons du rossignol le chant. » Ainsi fut fait. Adonc en arrachant Fleurs et boutons de beauté très insigne, Pour te montrer de vraie amour le signe, Je les jetais de toi à l'environ, Puis devisant m'assis sur ton giron : Mais en contant ce qu'avions en pensée, Sommeil me prit, car j'étais bien lassée. Finablement m'endormis près de toi, Dont, contemplant quelque beauté en moi, Et te sentant en ta liberté franche, Tu découvris ma poitrine assez blanche, Dont de mon sein les deux pommes pareilles Vis à ton gré, et tes lèvres vermeilles « Baisèrent lors les miennes à désir. Sans vilainie, en moi pris ton plaisir, Plus que ravi, voyant ta douce amie Entre tes bras doucement endormie. Là tes beaux yeux ne se pouvaient saouler. Et si disais (pour plus te consoler) Semblables mots en gémissante haleine : « O beau Paris, je ne crois pas que Hélène, Que tu ravis par Vénus dedans Grèce, Eut de beauté autant que ma maîtresse. Si on le dit, certes ce sont abus. » Disant ces mots, tu vis bien que Phébus Du hâle noir rendait ma couleur teinte, Dont te levas, et coupas branche mainte, Que tout autour de moi tu vins étendre Pour préserver ma face jeune et tendre. Hélas, Ami, tu ne savais que faire A me traiter, obéir et complaire, Comme celui duquel j'avais le cour. Mais cependant, ô gentil belliqueur, Je dormais fort, et Fortune veillait : Pour notre mal, las, elle travaillait. Car quand je fus de mon repos lassée, En te cuidant donner une embrassée, Pour mon las cour grandement consoler, En lieu de toi, las, je vins accoler De mes deux bras la flairante ramée Qu'autour de moi avais mise et semée, En te disant : « Mon gracieux Ami, Ai-jc point trop à votre gré dormi ? N'est-il pas temps, que d'ici je me lève ? » Ce proférant, un peu je me soulève, Je cherche et cours, je reviens, et puis vois : Autour de moi je ne vis que les bois ; Dont maintes fois t'appelai : « Pierre, Pierre, As-tu le cour endurci plus que pierre, De me laisser en cestui bois absconse ? » Quand de nully n'eus aucune réponse, Et que ta voix point ne me réconforte, A terre chus, comme transie ou morte. Et quand, après, mes langoureux esprits De leur vigueur furent un peu surpris, Semblables mots je dis de cour et bouche : « Hélas, ami, de prouesse la souche, Où es allé ? Es-tu hors de ton sens, so De me livrer la douleur que je sens En ce bois plein de bêtes inhumaines ? M'as-tu ôté des plaisances mondaines Que je prenais en la maison mon père Pour me laisser en ce cruel repaire ? Las ! qu'as-tu fait, de t'en partir ainsi ? Penses-tu bien que puisse vivre ici ? Que t'ai-je fait, ô cour lâche et immonde ? Se tu étais le plus noble du monde, Ce vilain tour si rudement te blesse, Qu'ôter te peut le titre de noblesse. O cour rempli de fallace et feintise, O cour plus dur que n'est la roche bise, O cour plus faux qu'oncqucs naquit de mère ! Mais réponds-moi à ma complainte amère. Me promis-tu en ma chambre parée, Quand te promis suivre jour et serée, De me laisser en ce bois en dormant ? Certes tu es le plus cruel amant Qui oneques fut, d'ainsi m'avoir fraudée. Ne suis-je pas la seconde Médéc? Certes oui; et à bonne raison Dire te puis être l'autre Jason ". » Disant ces mots, d'un animé courage, Te vais quérant, comme pleine de rage, Parmi les bois, sans douter nuls travaux. Et sur ce point rencontrai nos chevaux Encor liés, paissant l'herbe nouvelle, Dont ma douleur renforce et renouvelle : Car bien connus que de ta voulenté D'avecqucs moi ne t'étais absenté. Si commençai, comme de douleur teinte, Plus que devant faire telle complainte : « Or vois-je bien (Ami) et bien appert, Que maulgré toi en cestui bois désert Suis demeurée. O Fortune indécente, Ce n'est pas or, ne de l'heure présente, Que tu te prends à ceux de haute touche, Et aux loyaux. Quel rancune te touche ? Es-tu d'envie entachée et pollue, Dont notre amour n'a été dissolue? O cher ami, ô cour doux et bénin, Que n'ai-je pris d'Atropos le venin Avecques toi ? Voulais-tu que ma vie Fût encor plus cruellement ravie ? Je te promets qu'oncques à créature Il ne survint si piteuse aventure. Et à tort t'ai nommé, et sans raison, Le déloyal, qui conquit la toison : Pardonne-moi, certes je m'en repens. O fiers lions et venimeux serpents, Crapauds enflés et toutes autres bêtes, Courez vers moi, et soyez toutes prêtes De dévorer ma jeune tendre chair, Que mon ami n'a pas voulu toucher Qu'avec honneur. » Ainsi morne demeure Par trop crier, et plus noire que meure , Sentant mon cour plus froid que glace ou marbre. Et de ce pas montai dessus un arbre A grand labeur. Lors la vue s'épart En la forêt : mais en chacune part Je n'entends que les voix très hideuses Et hurlements des bêtes dangereuses. De tous côtés regardais, pour savoir Si le tien corps pourrais apercevoir : Mais je ne vis que celui bois sauvage, La mer profonde et périlleux rivage, Qui durement fit mon mal empirer. Là demeurai, non pas sans soupirer, Toute la nuit : ô Vierge très hautaine, Raison y eut, car je suis très certaine Qu'oncques Thisbé , qui à la mort s'offrit Pour Pyramus, tant de mal ne souffrit. En évitant que les loups d'aventure De mon corps tien ne fissent leur pâture, Toute la nuit je passai sans dormir, Sur ce grand arbre, où ne fis que gémir. Et au matin, que la claire Aurora En ce bas monde cclairci le jour a, Me descendis ' , triste, morne et pâlie, Et nos chevaux en pleurant je délie, En leur disant : « Ainsi comme je pense Que votre maître au loin de ma présence S'en va errant par le monde en émoi, C'est bien raison que (comme lui et moi) Alliez seuicts par bois, plaine, et campagne. » Adonc rencontre une haute montagne ; Et de ce lieu, les pèlerins errants Je pouvais voir, qui tiraient sur les rangs Du grand chemin de Rome sainte et digne. Lors devant moi vis une pèlerine, A qui donnai mon royal vêtement Pour le sien pauvre ; et dès lors promptement La tienne amour si m'incita grand erre A te chercher en haute mer et terre : Où maintes fois de ton nom m'enquérais, Et Dieu tout bon souvent je requérais, Que de par toi je fusse rencontrée. Tant cheminai que vins en la contrée De Lombardie, en souci très amer. Et de ce lieu me jetai sur la mer, Où le bon vent si bien la nef avance, Qu'elle aborda au pays de Provence : Où mainte gent, en allant, me raconte De ton départ ; et que ton père, comte De ce pays, durement s'en contriste. Ta noble mère en a le cour si triste Qu'en désespoir lui conviendra mourir. Penses-tu point doneques nous secourir? Veux-tu laisser cette pauvre loyale, Née de sang et semence royale, En cette simple et misérable vie? Laquelle, encor de ton amour ravie, En attendant de toi aucun rapport, Un hôpital a bâti sur un port Dit de saint Pierre , en bonne souvenance De ton haut nom ; et là prend sa plaisance A gouverner, à l'honneur du haut Dieu, Pauvres errants malades en ce lieu : Où j'ai bâti ces miens tristes écrits, En amertume, en pleurs, larmes et cris, Comme peux voir qu'ils sont faits et tissus. Et si bien vois la main dont sont issus, Ingrat seras, si en cet hôpital Celle qui t'a donné son cour total Tu ne viens voir; car Virginité pure Te gardera, sans aucune rompure : Et de mon corps seras seul jouissant. Mais s'ainsi n'est, mon âge florissant Consumerai sans joie singulière En pauvreté, comme une Hospitalière. Doneques (ami) viens-moi voir, de ta grâce. Car tiens-toi sûr qu'en cette pauvre place Je me tiendrai, attendant des nouvelles De toi qui tant mes regrets renouvelles '. |
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Clément Marot (1496 - 1544) |
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Portrait de Clément Marot | |||||||||
BiographieClément Marot naquit à Cahors en 1496. Son père, grand poète rhétoriqueur, avait été le protégé d'Anne de Bretagne , femme de Louis XII. Page dès 1515, il se mêle à la joyeuse confrérie des Clercs de la Basoche, compose en 1515 le poème allégorique le Temple de Cupido et devient valet de chambre et secrétaire de Marguerite, duchesse d'Alençon, sour du roi. Il rencontre chez elle des penseurs réfo ChronologieÉvénements historiquesOrientation bibliographique |
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