Clément Marot |
Or est venu le jour en deuil tourné, Or est le temps plein de pleurs retourné. Or sont ce jour les funérailles saintes De Jésus-Christ célébrées et teintes D'âpre douleur : soient donque rougissants Ores nos yeux par larmes d'eux issant. Tous estomacs en griefs vices tombés, Par coups de poing soient meurtris et plombés. Quiconques aime, exalte, et qui décore Le nom de Dieu, et son pouvoir adore, Couvre son cour et sensitif exprès De gros sanglots s'entresuivant de près. Voici le jour lamentable sur terre, Le jour qu'on doit marquer de noire pierre. Pourtant plaisirs, amours, jeux et banquets, Ris, voluptés, brocards et fins caquets, Tenez-vous loin, et vienne douleur rude, Soin, pleurs, soupirs, avec sollicitude. C'est le jour noir, auquel faut pour pointure De deuil montrer, porter noire teinture. Soient donc vêtus de couleur noire et brune Princes, prélats, et toute gent commune ; Viennent aussi avec robe de deuil Jeunes et vieux, en pleurant larmes d'oeil ; Et toute femme, où liesse est aperte, De noir habit soit vêtue et couverte. Rivières, champs, forêts, monts et vallées Ce jourd'hui soient tristes et désolées. Bêtes aussi privées et sauvages En douleur soient. Par fleuves et rivages Soient gémissants poissons couverts d'écaillé, Et tous oiseaux peints de diverse taille. Les éléments, la terre, et mer profonde, L'air, et le feu, lune, soleil, et monde, Le ciel aussi de hauteur excellente, Et toute chose à présent soit dolente : Car c'est le jour dolent et doloreux, Triste, terni, trop rude et rigoreux. Maintenant donc faut usurper et prendre « Les larmes d'oil que Héraclc sut épandre. De Xénocrate ou de Crassus doit-on Avoir la face, et le front de Caton : La barbe aussi longue, rude et semblable A celle-là d'un prisonnier coupable. Porter ne veuille homme ou femme qui vive Robe de pourpre ou d'écarlate vive. Ne soit luisant la chaîne à grosse boucle Dessus le col, ni l'ardente escarboucle : Ne veuille aucun autour des doigts cercler Verte émeraude ou diamant très clair. Sans peigner soit le poil au chef tremblant, Et aux cheveux soit la barbe semblant. Ne soit la femme en son cheminer grave, Et d'eaux de fard son visage ne lave. Ne soit sa gorge en blancheur décorée, Ne d'aucun art sa bouche colorée. Ne soient les chefs des grands Dames coiffes D'ornements fins, de gemmes étoffés. Mais sans porter bracelets ne carcans, Prennent habits signe de deuil marquant. Car c'est le jour auquel le Rédempteur, De toute chose unique Créateur, Apres tourments, labeurs de corps et veines, Mille soufflets, flagellements et peines, Illusions des Juifs inhumains, Pendit en croix, encloué pieds et mains, Piquant couronne au digne chef portant, Et d'amertume un breuvage goûtant. O jour funèbre, ô lamentable mort, O cruauté, qui la pensée mord, De cette gent profane et incrédule ! O fière tourbe, emplie de macule, Trop plus sujette à rude félonie Que ours de Libye, ou tigres d'Ircanie, Ne que le sale et cruel domicile Où s'exerçait tyrannie en Sicile ! Ainsi avez (sacrilèges) mouillé Vos mains au sang qui ne fut onc souillé : Et icelui mis à mort par envie, Qui vous avait donné lumière et vie, Manoirs et champs de tous biens plantureux, Puissant empire, et siège bienheureux, Et qui jadis, en faisant consommer Pharaon roi dedans la rouge Mer , En liberté remit sous vos monarches Tous vos parents anciens patriarches. O crime, ô tache, ô monstre, ô cruel signe, Dont partout doit apparoir la racine! O fausse ligne extraite de Judée, As-tu osé tant être outrecuidée, De perdre cil qui par siècles plusieurs T'a préservé par dons supérieurs, Et t'a instruit en la doctrine exquise Des saintes lois du prophète Moïse, En apportant sur le haut des limites De Sinaï les deux Tables écrites , Pour et afin que obtinsses diadèmes, Ou digne palme aux régions suprêmes ? Las ! quels mercis tu rends pour un tel don ! O quel ingrat et contraire guerdon! Et quel péché se pourrait-il trouver Semblable au tien ? Point ne te peux laver. A tous humains certes est impossible D'en perpétrer encor un si horrible. Car beau parler, ni foi ferme et antique, Religion ne vertu authentique Des Pères saints n'ont su si haut atteindre, Que ta fureur aies voulu refreindre. Des vrais disant Prophètes les oracles, Ne de Jésus les apparents miracles, De faux conseil ne t'ont su révoquer, Tant t'es voulu à durté provoquer. O gent sans cour, gent de fausse nature, Gent aveuglée en ta perte future, En meurtrissant par peines et faiblesses Un si grand Roi, de ton couteau te blesses : Et qu'ainsi soit, à présent tu en souffres Cruelle géhenne en feu, flambes et soufres; Si qu'à jamais ton tourment mérité Vois, et verras ; et ta postérité, Si elle adhère à ta faute importune, Se sentira de semblable fortune. Car il n'y a que lui qui sût purger Le trop cruel et horrible danger De mort seconde l; et sans lui n'auront grâce Vos fils vivants, n'aucunc humaine race. Aucun Juif pour tel faute ancienne N'a siège, champ, ni maison qui soit sienne. Et tout ainsi que la forte tourmente En pleine mer la nacelle tourmente, Laquelle étant sans mât, sans voile et maistre, De tous les vents à dextre et à senestre Est agitée : ainsi êtes, Juifs, De tous côtés déchassés et fuis, Vivant toujours sous tributaire règle. Et tout ainsi que le cygne hait l'aigle, Le chien le loup, Hannuier le François, Ainsi chacun, quelque part que tu sois, Hait, et herra ta fausse progénie, Pour l'inhumaine et dure tyrannie Que fis à cil qui tant de biens t'offrit, Quand Paradis et les Enfers t'ouvrit. O douce Mort, par salut manifeste Tu nous repais de viande céleste. Par toi fuyons le règne plutonique ', Par toi gît bas le serpent draconique . Car le jour vient agréable sur terre, Le jour qu'on doit noter de blanche pierre, Le jour heureux en trois jours surviendra, Que Jésus-Christ des Enfers reviendra. Parquoi, pécheur, dont l'âme est délivrée, Qui ce jourd'hui portes noire livrée, Réjouis-toi, prends plaisir pour douleur : Pour noir habit, rouge et vive couleur ; Pour pleurs, motets de liesse assignée. Car c'est le jour d'heureuse destinée, Qui à Satan prépare affliction, Et aux mortels sûre salvation. Donc connaissant le bien de mort amère, Doux Jésus-Christ, né d'une Vierge mère, S'il est ainsi que ton pouvoir honore, S'il est ainsi que de bon cour t'adore, S'il est ainsi que j'ensuive ta loi, S'il est ainsi que je vive en ta foi, Et, comme crois qu'es aux cieux triomphant, Secours (hélas!) un chacun tien enfant, Si qu'en vivant soit en santé la vie, Et en mourant aux cieux l'âme ravie. |
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Clément Marot (1496 - 1544) |
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Portrait de Clément Marot | |||||||||
BiographieClément Marot naquit à Cahors en 1496. Son père, grand poète rhétoriqueur, avait été le protégé d'Anne de Bretagne , femme de Louis XII. Page dès 1515, il se mêle à la joyeuse confrérie des Clercs de la Basoche, compose en 1515 le poème allégorique le Temple de Cupido et devient valet de chambre et secrétaire de Marguerite, duchesse d'Alençon, sour du roi. Il rencontre chez elle des penseurs réfo ChronologieÉvénements historiquesOrientation bibliographique |
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