Essais littéraire |
Des débuts à 1900 En Suisse romande, on ne peut parler d'une vie spirituelle et littéraire propre que depuis la Réforme. Jean Calvin (1509-1564) l'a marquée de son empreinte - elle le reste encore. Sa rigueur d'esprit et la forme didactique de sa conduite de pensée pour l'enseignement de la morale civique est l'un des piliers de la tradition littéraire de la Suisse romande. Tout à l'opposé se trouve Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) qui, comme Calvin, a influencé la pensée du monde entier. Chez lui. l'analyse de la société s'exprime sous forme de poésie subjective. Il est. dans ses rapports romantiques avec la nature, réconcilié avec le monde. Calvin est le théoricien strict, théocrate à l'esprit d'analyse poussé; Rousseau ouvre le chemin et trace avec sensibilité la voie à la subjectivité bourgeoise. Calvin, persécuté en France, son pays natal, fit de Genève le centre intellectuel de la Réforme. Prédicateur persuasif, il publie de nombreux écrits sur les problèmes de la foi. Homme d'Etat aussi, avec un rayonnement beaucoup plus intense que Zwingli à Zurich, il rédige les Ordonnances ecclésiastiques, statut politique et religieux. Son catéchisme. Instruction et Confession de la foi (1537). ses commentaires de la Bible, sont imprégnés de la pensée théocratique à laquelle est soumise toute vie bourgeoise. La Doctrine de la Prédestination et une conception de la foi essentiellement introvertie font de lui un éminent précurseur de la culture bourgeoise: le problème de la foi. les conflits entre le soi et la société, les rapports avec sa propre existence sont purement personnels. Une culture de l'évolution individuelle est mise en complément d'une culture publique bourgeoise dictée par la structure de l'Etat. Calvin n'attribue aux lettres profanes et aux arts qu'une place secondaire. Le renouvellement dogmatique de la religion qu'apporte son Institution de la Religion chrétienne (1536) attire à Genève des étudiants de toute l'Europe; mais de nombreux opposants doivent, sous sa domination, quitter la «Rome protestante». Michel Servet, auteur d'un ouvrage scientifique, périt sur le bûcher. Sébastien Castellion (1515-1563). le plus virulent des contradicteurs de Calvin, est contraint à l'exil. Ce pédagogue, directeur du Collège de Genève, traducteur de la Bible, connu pour son Traité des Hérétiques (1554). réclame la liberté de conscience: il est partisan d'un libéralisme bourgeois naissant et d'un timide rationalisme. Calvin incarne la providence divine. Castellion la tolérance et la liberté. Dans cette opposition fondamentale, ils caractérisent la tradition théologique inséparable de la littérature romande. L'essayiste bernois Béat-Louis de Murait (1665-1749) ouvre à la Suisse romande le chemin de l'Europe dans ses Lettres sur les Anglais et les Français (1725). Avec Jean-Jacques Rousseau, qui développe une sensibilité nouvelle, la littérature romande atteint son plus haut niveau au XVIIIe siècle. Fils d'un horloger d'origine huguenote et d'une calviniste genevoise, Rousseau a une enfance malheureuse; il passe au catholicisme et arrive à Paris en 1742, où il gagne sa vie comme précepteur et secrétaire privé. Il entre en contact avec Diderot et les Encyclopédistes. Il participe à un concours de l'Académie de Dijon et remporte le prix, devenant sur-le-champ célèbre avec son Discours sur les Arts et les Sciences (1750). Il y répond à la question: «Si le rétablissement des sciences et des arts a contribué à épurer les mours», et y décrit un état de nature paradisiaque, d'où l'homme heureux et bon a été entraîné dans la perdition par la science et la vie en société. C'est à ce discours que se rattache la formule consacrée «retour à la nature», que Rousseau n'emploie d'ailleurs pas et qui ne comprend pas dans toutes leurs nuances les thèses de son système philosophique. Avec son opéra Le Devin du Village (1752). qui obtient un grand succès, et les Lettres sur la Musique française (1753). il prend place dans le débat de son temps sur la musique. Dans le Discours sur l'origine et le fondement de l'inégalité parmi les hommes (1754). destiné lui aussi à l'Académie de Dijon, il n'écarte plus catégoriquement l'influence de la société comme un mal. Il montre l'évolution de l'état de nature, qu'il considère comme paradisiaque, aux inégalités qu'il estime être la conséquence de l'évolution historique corruptrice. Il réclame le retour à l'égalité originelle. Il revient à Genève et au calvinisme, et se brouille avec presque tous ses amis. Julie, ou la Nouvelle Héloïse (1761). son roman épistolaire, exerce sur ses contemporains une fascination extraordinaire par ses descriptions des paysages alpestres et lacustres, ses passions cl ses amours malheureuses. Dans Le Contrat social (1762), son projet de société, le citoyen politique et majeur remplace l'homme naturel libre. L'état originel, que Rousseau voit maintenant comme une anarchie, doit être remplacé par une volonté générale. Dans l'Emile (1762). ouvrage pédagogique, il montre comment l'homme devrait être édu-qué pour l'Etat décrit dans le Contrat social: une évolution douce et dirigée des qualités bonnes et naturelles. Rousseau est de plus en plus violemment attaque et de manière anonyme, notamment par Voltaire. Il se défend dans ses Confessions (1781). ouvre posthume. La première partie comprend une narration de sa jeunesse - de fait pas très exacte, ce qui est important pour l'auto-analyse - qu'il montre poétiquement radieuse et sans soucis. Le deuxième livre évoque des zones sombres et tourne au plaidoyer: sa vie même, la plus convaincante de ses défenses, confirme sa philosophie. Il passe ses dernières années solitaire, craignant le monde, dans un total isolement. Jean-Jacques Rousseau a influencé la postérité de manière durable. La Révolution française s'est référée à ses idées et à ses écrits. Goethe et Schiller se sont longuement penchés sur lui. Avec Rousseau s'est créée une tradition littéraire contraire à Calvin. Son influence se fonde sur une concomitance de critique sociale et de poésie. Même comme botaniste, sa relation avec la nature est romantique. Il voit en elle les principes fondamentaux de la société comme de la vie intérieure et extérieure de l'individu. Rousseau se situe dans la dialectique des Lumières entre les tendances individualistes et socio-historiques de son temps. Son influence sur la littérature romande est telle une empreinte. Son actualité tient aujourd'hui à ce qu'il a fait de la fantaisie une force, et à sa subjectivité, qui échappe aux mécanismes du temps et des systèmes. Ses conceptions de l'égalité, de l'origine de la vie sociale, de la formation de la propriété privée sont demeurées actuelles. Au début du XIXe siècle, le Château de Coppet. près de Genève, devient un centre intellectuel de résonance européenne. Il appartient au banquier Necker, dont la fille Germaine de Staël (1766-1817) s'y installe après avoir été exilée de Paris par Bonaparte. Elle termine en 1810 son ouvrage le plus connu De l'Allemagne, dans lequel elle tente d'expliquer aux Français ce pays qu'ils ignorent. Cette ouvre de cosmopolitisme culturel, dont Napoléon interdit d'abord la parution, fixa pour longtemps l'image que les Français eurent de l'Allemagne. Benjamin Constant (1767-1830). ami de Mme de Staël, né à Lausanne, fut désireux, lui aussi, d'exercer une influence politique en France. Son ouvrage: De l'esprit de conquête et de l'usurpation dans leurs rapports avec la civilisation européenne (1814) est considéré comme un classique de la littérature politique. Constant ne put regagner Paris qu'en 1816. Représentant de l'Assemblée nationale, il développa sa théorie d'un libéralisme bourgeois dans une monarchi constitutionnelle. Son roman Adolphe (1816), tout comme celui de Mme de Staël. Corinne (1807). appartiennent aux chefs-d'ouvre de la littérature psychologique. Alexandre Vinet (1797-1847) poursuit les débats théologiques de la Réforme. Il réclame avec véhémence la séparation de l'Eglise et de l'Etat et défend après 1845 les pasteurs qui se refusent à faire de la chaire un porte-voix de la politique. Le gouvernement bourgeois met un terme rapide à sa carrière de professeur de Lettres à l'Académie de Lausanne. Il avait passé précédemment vingt ans à enseigner le français à Bâle et publié là une Chrestomatie française qui fut en usage pendant plus d'un siècle. L'ouvre très importante de Vinet se compose de nombreux articles, essais, cours, sermons, lettres et souvenirs. Plus de trente volumes ont paru jusqu'ici. Rodolphe Toepffer (1799-1846) s'est fait un nom comme écrivain et comme dessinateur. Ses Histoires genevoises (1841) décrivent avec humour et une fine ironie la vie de ses contemporains. Ses narrations illustrées de voyages et surtout ses histoires en caricatures (Voyages en zigzag, 1845, Histoire de M. Jabot, 1835, etc.) font de lui le précurseur de la bande dessinée. Henri-Frédéric Amiel (1821-1881). professeur d'esthétique et de philosophie à l'Université de Genève, rédige pendant des dizaines d'années un Journal intime dont même ses amis les plus proches ne savent rien. Tl s'y enfonce dans un monde d'aspirations vaines, alors que les années passent et que rien ne se produit. Sa profession ne lui apporte aucune satisfaction: il reconnaît sa médiocrité de solitaire, poussée jusqu'à la paralysie totale. Après sa mort, une chronique personnelle reste, bilan d'une vie: 17 000 pages écrites jour après jour depuis 1847. Ce Journal intime dresse un monument aussi bien à Calvin qu'à Rousseau; document d'auto-analyse sans pitié, il montre d'une part les limites de l'intériorisation, tout en étant la seule forme d'expression permettant d'échapper à une morale bourgeoise normative. Tolstoï et d'autres écrivains ont salué dans cette introspection martyrisante d'Amiel une révélation, et ont contribué à faire sa tardive célébrité. Des Fragments d'un Journal intime avaient paru en deux volumes, en 1882 et 1884. Une édition complète en dix volumes paraît depuis 1976. Edouard Rod (1857-1910) qui, comme bien des écrivains et artistes romands, monte rapidement à Paris, est un représentant du naturalisme dans la tradition du roman à thèse. Les récits de l'écrivain vaudois - qui participe d'ailleurs activement à la vie culturelle de Paris - se situent en Suisse romande. Ses romans illustrent l'influence déterminante du calvinisme dans la représentation et la motivation du conflit psychologique. Le XXe siècle La fin du XIXe siècle correspond à l'ouverture d'une nouvelle voie de la vie intellectuelle romande. Personne ne reconnaît d'abord l'importance et la portée de l'enseignement de Ferdinand de Saussure (1857-1913) qui va renouveler la philologie. Ce n'est qu'après sa mort que son Cours de linguistique générale (1924) fut rédigé sur la base de notes de cours d'étudiants et de quelques brouillons retrouvés. Saussure définit la langue comme un système de dualités (langue/parole, signifiant/signifié). Sa distinction fondamentale au niveau temporel entre diachronie et synchronie et sa pensée systématique en structures de dualités sont au départ du structuralisme, instrument d'analyse de la connaissance d'importance européenne aujourd'hui. Le psychologue du développement Jean Piaget (1896-1980) transfère la méthode de Saussure à la théorie de la connaissance dans son essai Le Structuralisme (1968). A côté de la linguistique, devenue science fondamentale, de nombreuses disciplines qui ne touchent pas directement au langage (sémiologie, sciences socialeS) utilisent les méthodes de base du structuralisme. Chez Jean Piaget. plusieurs d'entre elles se rejoignent: mathématiques, logique, physique, biologie, cybernétique, psychologie, philosophie et sociologie. La multiplicité de ses recherches trouve son expression dans son élude du développement de l'intelligence chez l'enfant. L'objet de ses analyses est le processus d'acquisition de la connaissance des êtres humains. Selon sa théorie, l'enfant se forme progressivement, par degrés. Avec son image de l'homme. Piaget exerce une grande influence sur toutes les sciences et dans tout le domaine intellectuel. Les résultats de ses travaux montrent que la conscience et l'action sont deux aspects partiels inséparables d'une réalité unique. Denis de Rougemont (1906-1985). écrivain et philosophe né à Neuchâtel, a atteint lui aussi une dimension internationale. La notion d'engagement, qu'il définit philosophiquement et politiquement dans les années trente, est fortement marquée de l'exigence calviniste de responsabilité de l'individu. L'homme n'a droit à la révolte que dans le cadre d'un petit groupe lié par une idée commune; dans l'ordre de Calvin, la révolte de l'individu est proscrite. D. de Rougemont est d'abord écrivain, mais dès les années trente, d'autres préoccupations que purement esthétiques prennent la première place, avec la menace du fascisme. Au cours d'un séjour d'une année en Allemagne, il apprend à connaître de visu les réalités quotidiennes du national-socialisme (Journal d'Allemagne dans Journal d'une Epoque, 1968). La célébrité vient avec L'Amour et l'Occident (1939). Dans cet essai, l'auteur justifie et illustre sa conception de l'amour de l'homme et l'adoration d'un être lointain et inaccessible. Après la Seconde Guerre mondiale, Denis de Rougemont se voue à la réalisation de l'idée de fédération européenne. A l'Etat national qui évoque des guerres impérialistes, il oppose l'alternative de la région autonome, dans le cadre de laquelle les problèmes restent perceptibles et solubles. 11 rattache son fédéralisme au mouvement écologique dont il était un des penseurs dominants. Les années 1903-1904 marquent pour la Suisse romande un tournant que l'on pourrait définir par régionalisme et émancipation: René Morax (1873-1963). poète du peuple vaudois. crée le Théâtre du Jorat dans l'arrière-pays de Lausanne. On y cultivera la tradition du Festspiel et on y créera aussi des ouvres nouvelles. En ce même temps, quelques écrivains de valeur se groupent et créent une revue littéraire, La Voile latine. Le titre même dit leur intention de défendre la latinité contre la «germanisation larvée de la langue française» que dénonce Charles-Albert Cingria (1883-1954). auteur de poèmes et récits. Après la rupture avec Gonzague de Reynold (1880-1970), poète, aristocrate fribourgeois, les Cahiers vaudois vont paraître (1914). qui affirment un patriotisme régionalisie romand vivace. Dans les années cinquante. Rencontre, une revue de haut niveau, tente de rompre la dépendance de Paris et l'étroitesse du monde romand. Contrairement aux précédentes, cette revue s'efforce au dialogue avec les autres parties du pays. Les revues d'aujourd'hui Ecriture, la Revue de Belles-Lettres et Furor (cette dernière avant-gardiste avec d'éminents collaborateurS) sont spécialisées dans les domaines d'histoire littéraire et d'esthétique. De son côté, l'Atelier Payot publie la revue Repères depuis 1981, qui se définit comme «largement ouverte et refusant toute étiquette». Poésie. Musique, Littérature - avec une chronique des lettres alémaniques - Théâtre et Beaux-Arts. Citons enfin les Cahiers de l'Alliance culturelle romande fondée en 1962. L'activité littéraire contemporaine est très influencée par Paris. Il n'en existait pas moins une vieille tradition de l'édition dans le pays et plusieurs théâtres indépendants vivent à Genève, Lausanne et dans le Jura. Il est évident que la tradition de Calvin, et aussi de Rousseau - tous deux ennemis du théâtre - a empêché la formation d'un substrat qui eût permis l'éclosion de dramaturges marquants. L'activité de maisons d'édition relativement modestes, comme par exemple Rencontre, l'Aire, L'Age d'Homme et Zoé, est d'une importance essentielle pour la vie des lettres en Romandie. La littérature narrative du XXe siècle débute avec Charles Ferdinand Ramuz (1878-1947). Son ouvre, très importante, est dominée par la conscience de sa région. Les romans de ce Vaudois sont des idylles brusquement détruites, se terminant dans les mêmes abîmes. Les mours rudes et les traditions du doux pays entre Cully et Saint-Saphorin. la vie de famille, les paysages, le Léman, les vignes, la vie dure, des amours et des brouilles campagnardes forment le cadre qui toujours se brise. Ses personnages sont soumis à menace permanente et diffuse et ne prennent du relief que dans la catastrophe imminente. Dans Aline (1905), la fille enceinte abandonnée se pend à l'heure du beau mariage de son amant. Jean-Luc persécuté (1908) est la vision d'un homme devenu fou qui tue sa femme et l'un de ses enfants. Dans La Guérison des Maladies (1917), le personnage déçu de la vie el de l'amour cherche la mort libératrice et se noie. Le Garçon savoyard (1936). plus tardif, met en scène un autre conflit entre le réel et l'imaginaire: la tension entre le pain sec quotidien et l'inextinguible soif d'absolu pousse les personnages à l'anéantissement dans la folie. Un des rares textes hors de la chaîne des catastrophes naturelles ou sanglantes, c'est Aimé Pache, peintre vaudois (1911), roman d'artiste très autobiographique. Comme Ramuz. Aimé Pache espère trouver à Paris l'accomplissement de ses aspirations. Renonçant à toutes ses ambitions artistiques et humaines, il rentre dans son village natal et peut y développer enfin tout son talent. Il peint l'image de sa vie. Dans un monde de vide et d'absence, l'art, la musique, la littérature et la philosophie remplissent chez Ramuz une fonction quasi religieuse. Son ouvre d'essayiste le confirme. Formellement en rupture avec le roman français classique, dont il refuse la structure logique dans l'analyse (que ce soit introspection psychologique ou description d'une société), il veut par son style rendre lisibles la lourdeur paysanne et l'accent profond du terroir de manière rythmique. Il se heurte là aux règles normatives de la grammaire française traditionnelle. Il le lui faudra payer cher, car pendant des années la critique parisienne lui reprochera de ne pas «bien» écrire. 11 trouvera plus tard un admirateur en Céline, un autre rénovateur de la langue. Biaise Cendrars (1887-1961), son contemporain, a une attitude totalement différente. Reporter et écrivain voyageant dans le monde entier, il se lie à divers mouvements d'avant-garde. Sa Prose du Transsibérien (1913) est un chef-d'ouvre de poésie cosmolite. Les Pâques à New York (1912) est un des poèmes les plus remarquables du XXe siècle. Lotissement du Ciel (1949). Bourlinguer (1948). Mora-vagine (1926) et d'autres textes font de lui un des créateurs de la littérature moderne. On ne saurait écarter ici Guy de Pourtalès (1881-1941). Français sans doute, de famille huguenote réfugiée en Suisse - mais combien romand et lémanique surtout (Marins d'eau douce. 1919). analyste tendre et profond de cette Genève à laquelle l'attachent tant de racines dans La Pêche miraculeuse (1937). prix de l'Académie française, roman parfois autobiographique, prolongation aussi de la Nouvelle Hèloïse dans la sensibilité romantique qui habite toute l'ouvre du musicien-biographe de l'Europe romantique {Liszt, 1925. Chopin, 1927. Wagner. 1932, Berlioz, 1939). C. F. Landry (1909-1973) est un «rhodanien» passionné. Ses romans Diego (1938). Les Grelots de la Mule (1948). Domitienne (1949) se situent dans le soleil du Midi avec un dépouillement ardent. Attaché aussi au pays, il a retracé l'image de Davel (1940), plus tard aussi le rêve de Charles le Téméraire (1960) de recréer la Lotharingie. Jacques Mercanton (*1910) dépasse, lui aussi, les frontières du pays. Ses romans et nouvelles se situent en Allemagne du Sud. en Autriche, en Italie, en Espagne et au Maroc. Citadin cultivé et citoyen du monde, il est le plus grand représentant du roman psychologique, pour qui les paysages et les lieux, les personnages et l'action, la symbolique et la culture littéraire sont reflets complexes de l'âme humaine. Dans son grand roman, L'Eté des sept Dormants (1974), il crée un monde dense refermé sur lui-même dans un home de garçons, au bord du Danube. Tout différents de Cendrars et de Mercanton, Maurice Chappaz (* 1916) et Alexandre Voisard (* 1930) se préoccupent essentiellement de leur patrie. Chappaz réagit par la littérature à l'enlaidissement du paysage dont la destruction tourne au scandale. Dans Le Match Valais-Judée (1968), le Temple (soit le ValaiS) devient un grand magasin, les pharisiens d'aujourd'hui sont les spéculateurs immobiliers catholiques-conservateurs sans scrupules qui envoient leurs servantes et leurs filles se faire avorter à Genève. Dans une histoire qu'il pousse à l'extrême fantastique, il lance à la tête de leur Mam-mon la colère du Dieu de l'Ancien Testament. Son recueil de poèmes I-£s Maquereaux des Cimes blanches (1976) est l'expression d'une poésie engagée, où l'équilibre est sans cesse menacé, mais qui ne nie pas l'influence des classiques anciens et français. Une grande partie de l'ouvre de Chappaz est consacrée au Valais, sa patrie (Testament du Haut-Rhône, 1966, Portrait des Valaisans en Légende et Vérité, 1976). La poésie d'Alexandre Voisard est liée au séparatisme jurassien. Le Jura, pour lequel il a fallu lutter jusqu'à l'obtention de son indépendance, est dans sa lyrique une métaphore du soi. La nature, l'enfance, l'isolement et la liberté sont les thèmes essentiels des poèmes de Voisard, que l'on peut comparer avec la littérature française de la Résistance (Liberté à l'Aube, 1967). Il écrit aussi des nouvelles imprégnées de surréalisme et qui se situent dans le monde de l'imaginaire et du fantastique. Elles sont pénétrées d'affinités romantiques avec le paysage qui, dans la poésie engagée de l'auteur, ont un impact politique (Louve, 1972). On retrouve chez plusieurs écrivains contemporains le personnage du pasteur torturé par des remords - le plus vivement dans Je, roman d'Yves Velan (*1925). professeur de gymnase qui séjourna longtemps aux Etats-Unis. L'ouvre du Vaudois Jacques Chessex (* 1934) traite essentiellement de la problématique calviniste vécue du péché et de l'expiation. Admirateur de Flaubert et de Maupas-sant, il use de structures romanesques classiques, d'une syntaxe style XIXe. et d'une écriture baroque. A la suite de Calvin, le moi devient dans ses romans un ghetto duquel on ne peut plus s'échapper. Les récits de Chessex sont des variations extériorisées d'une introspection. Si le poids est trop lourd, surhumain, il entraîne le protagoniste dans le suicide (La Confession du Pasteur Burg, 1967. L'Ogre. 1973); ou alors le récit laisse entrevoir à la dernière page que le péché n'est pas expié et se reportera de génération en génération (L'Ardent Royaume, 1975). Chessex. qui a obtenu le Prix Goncourt pour L'Ogre, est aussi l'auteur de nouvelles, de poèmes et d'un recueil d'articles sur des écrivains romands (Les Saintes Ecritures, 1972). Georges Haldas (* 1917). écrivain genevois d'origine grecque, situe son ouvre principalement dans les milieux ouvriers et petits-bourgeois dont il narre l'existence (Chronique de la Rue St-Ours. 1973. La Légende des Cafés. 1976). Gaston Cherpillod (* 1925) apporte un autre ton à la littérature romande. Son autobiographie Le Chêne brûlé (1969) appartient aux documents sociaux de l'époque. C'est en même temps un plaidoyer pour la classe sous-privilégiée. Michel Goeldlin (* 1934) pratique un style reportage dans des romans fondés sur des événements réels (A l'Ouest de Lake Placid, 1979). Jean-Pierre Monnier (* 1921 ) fait du Jura le symbole d'un régionalisme universel dans ses romans. Il se préoccupe aussi intensément des aspects théoriques et critiques de la littérature (L'Age ingrat du Roman, 1967. Ecrire en Suisse romande entre le Ciel et la Nuit, 1979). Trois écrivains dont la situation dans la littérature romande est particulière vivent à Paris: Jean-Luc Benoziglio (* 1941) appartient à l'avant-garde de la recherche expérimentale du langage, à Paris. Cabinet-Portrait (1980) est une réussite d'humour et d'ironie, distrayant et compréhensible, après plusieurs romans difficiles à appréhender. Robert Pinget (* 1919). juriste de formation comme Benoziglio. fait partie des représentants dominants du Nouveau Roman (Graalflibuste. 1956. Baga, 1958. Quelqu'un. 1965, Le Fiston. 1959). Georges Borgeaud(* 1914). enfin, auteur notamment du Préau (1952) et du Voyage à l'Etranger (Prix Renaudot 1974). Etienne Barilier (* 1947), auteur de plusieurs romans et d'essais, est un représentant typique de la génération qui a pris part aux événements de 1968. Comme romancier, il en exprime le scepticisme existentiel. Ses personnages sont trop intelligents pour remplir le vide avec des idéologies, mais leur rapport avec la culture est confus (Passion, 1974, Journal d'une Mort, 1977, Une Seule Vie, 1975, Le Chien Tristan, 1977). S. Corinna Bille (1912-1979). auteur de poèmes et de romans, atteint au plus haut de sa maîtrise du style dans ses nouvelles (Le Salon ovale, 1976, La Demoiselle sauvage, 1974). Epouse de Maurice Chappaz. elle est la représentante la plus connue d'une littérature féminine qui a atteint dans la deuxième partie du siècle une floraison unique. Catherine Colomb (1899-1965) et Monique Saint-Hélier (1895-1955) avaient précédé ce mouvement. Parmi les plus jeunes, citons Anne Cuneo (* 1936) qui personnifie une littérature politiquement engagée (Mortelle Maladie, 1969. Une Cuillerée de Bleu, 1980. Les Portes du Jour, 1981), Monique Laederach (*1938) avec Pénélope, 1971 et J'habiterai mon Nom, 1977 (poèmeS) et son roman La Femme séparée. 1983. ainsi que Anne-Lise Grobéty (* 1949) qui. dans ses romans, recherche de nouvelles voies esthétiques (Zéro positif, 1975). Gustave Roud (1897-1976) et Philippe Jaccoltet (* 1925) sont les poètes les plus remarquables de la Suisse romande au XXe siècle. Les paysages évoqués par Roud sont des métaphores de sa vie intérieure (Requiem, 1967). Il est tourné vers l'Allemagne, pays de sa nostalgie: Hôlderlin. NovalLs et les romantiques sont ses maîtres à penser et il les traduit en français avec une perfection de style incomparable. Jaccoltet (La Promenade sous les Arbres, 1957, Leçons, 1969. La Semaison, 1963) suit ses traces et traduit Rilke. Musil, Ungaretti. De nombreuses traductions de l'allemand ont pénétré en France et dans le monde francophone par le chemin de la Suisse romande. A la suite d'Albert Béguin (1901-1957). dont l'ouvrage L'Ame romantique et le Rêve, Essai sur le Romantisme allemand et la Poésie française (1939) fait encore référence, l'école genevoise de critique littéraire a acquis une grande réputation avec Marcel Raymond (1897-1981), Jean Starobinski (* 1920), Jean Roussel (* 1910).' Les six cantons romands ne forment pas une unité de culture autonome. Ils sont en position de double minorité, vis-à-vis de la France et face à la Suisse alémanique. La remise en question permanente que provoque cette situation conduit à une réalité culturelle propre: régionalisme par recherche des racines profondes, et internationalisme par besoin d'échapper à l'étroitesse locale, tels sont les deux visages complémentaires de cette réalité. |
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