Germain Nouveau |
Dans Le flâneur des deux rives, Apollinaire a raconté une soirée avec Léon Dierx, qui fut prince des poètes. Après avoir évoqué Nerval, qui se suicida dans des conditions mystérieuses, et Baudelaire, « dont on connaît mal la vie » et qui, selon Nadar, serait mort vierge, Léon Dierx lui parla de Germain Nouveau : « En ce moment même, un poète de premier ordre, un poète fou erre à travers le monde... » La soirée se situe peu avant la Première Guerre mondiale et nous apprenons quelle image de Nouveau circulait dans les cercles poétiques de l'époque : « Germain Nouveau quitta un jour le lycée où il professait le dessin et se fit mendiant pour suivre l'exemple de saint Benoît Labre. Il alla ensuite en Italie où il peignait et vivait en vendant ses tableaux. Maintenant il suit les pèlerinages et j'ai su qu'il était passé à Bruxelles, à Lourdes, en Afrique. » Dierx raconte ensuite que des amis de Nouveau ont publié quelques-uns de ses poèmes en donnant comme nom d'auteur : G.N. Humilis. « Son humilité serait choquée de cène publication s'il la connaissait. » En fait, il en eut connaissance et voulut poursuivre l'éditeur devant les Tribunaux, car ces poèmes ne correspondaient plus à ses convictions du moment. Les autorités négligèrent la demande d'un vagabond. Le plus curieux dans cette affaire d'édition reste cependant que l'on ne connaît pas de manuscrit du recueil publié. Nouveau l'avait détruit. Son ami Larmandie, qui avait disposé d'une copie, prétendait avoir appris tous ces vers par cour... De son vivant. Nouveau ne publia lui-même que quelques poèmes et nouvelles dans des revues et la mince plaquette contenant l'Ave Maria Stella. Nous ne savons pas ce qu'Apollinaire avait pu lire de lui. Nouveau mourut en avril 1920. Des amis de jeunesse qui l'admiraient beaucoup, au premier rang desquels Ernest Delahaye, entreprirent de réunir ses ouvres. Ainsi put-on lire Valenlines et autres vers en 1922 (édition expurgée à la demande de la famillE), volume que suivit Poésies d'Humilis et vers inédits en 1924. Ces ouvres suscitèrent l'enthousiasme des surréalistes, Breton et Aragon en tête, qui déclarèrent que Nouveau était un poète aussi considérable que Rimbaud. Et c'est alors que l'on se rappela que Nouveau et Rimbaud avaient fait un bout de chemin ensemble. Sur le couple Nouveau-Rimbaud, nous avons le témoignage de Jean Richepin, l'auteur de La Chanson des gueux. Richepin fut le premier poète auquel Nouveau se lia d'amitié, en arrivant à Paris de sa Provence natale, en 1872, à l'âge de vingt et un ans. Richepin n'avait que trois ans de plus que lui. Nourri de littérature classique, grand admirateur de Hugo et de Baudelaire, Nouveau était également passionné par la poésie populaire. Richepin lui plut aussi parce qu'il ne jonglait pas seulement avec les rimes riches, mais avec des assiettes et des bouteilles. S'il ne parvenait pas à vivre de sa plume, il pourrait se faire embaucher dans un cirque. Nouveau rencontra Rimbaud au café Tabourey vers la fin de 1873. Rimbaud avait alors dix-neuf ans et il était plus connu pour sa liaison avec Verlaine que par ses poèmes. Sa réputation était mauvaise (Rimbaud le voyoU) et on le disait infréquentable. On ne lui adressait plus la parole. Au contraire, Nouveau se dirigea vers lui. Dans les souvenirs qu'il a écrits sur Nouveau et Rimbaud, Richepin n'hésite pas à parler de « l'énergique, l'intrépide et génial Rimbaud » et de Nouveau « nature faible, caractère exalté, d'une nervosité de femme sensuelle s'abandonnant à ce qui est fort ». Cependant Richepin reconnaît qu'il fut bien surpris quand il apprit que Nouveau avait brusquement quitté Paris poursuivre Rimbaud à Londres, sans même prévenir sa logeuse et abandonnant dans sa chambre tous les papiers auxquels il était très attaché. « Ce départ précipité ressemblait fort à un enlèvement. » Nouveau a raconté lui-même son aventure avec Rimbaud dans « La Chanson de mon Adonis » où il utilise une forme badine. Le poème « Mendiants » nous permet de comprendre le déchirement qu'il éprouva quand Rimbaud l'abandonna. On se doute qu'André Breton n'a pas commenté ces deux poèmes. Il ne voit pas en Nouveau un amant de Rimbaud, mais son « confident mystique » : « Nouveau fut sans doute dans le grand secret de Rimbaud. >> Bien mieux : évoquant leur cohabitation au 178 Stamford Street à Londres, Breton s'interroge : « Saura-t-on jamais quelle part de réciprocité fut mise alors entre ces deux êtres de génie ? » (Flagrant délit, p. 48) et il poursuit : « Rimbaud-Nouveau, Nouveau-Rimbaud : on n'aura rien dit, on n'aura rien franchi poétiquement tant qu'on n'aura pas élucidé ce rapport, tant qu'on n'aura pas dégagé le sens de la conjonction exceptionnelle de ces deux "natures" et aussi de ces deux astres. » A Londres furent composés nombre de poèmes des Illuminations. Pendant longtemps, on avait cru que ces Illuminations étaient antérieures à Une saison en enfer. Bouillanne de Lacoste prouva qu'il n'en était rien et découvrit que plusieurs paragraphes, dans les manuscrits, étaient de la main de Germain Nouveau. Enigme à résoudre : Nouveau écrivait-il sous la dictée de son ami ou bien Rimbaud permettait-il à Nouveau d'insérer dans ses poèmes en prose des phrases qu'il lui avait inspirées ? Il est évident que souvent Rimbaud inspira Nouveau. On le voit dans un poème en vers comme « Les Hôtesses ». C'est au point que certains critiques se sont demandé qui en était le véritable auteur. On répondra que Rimbaud n'écrivait plus de vers quand Nouveau envoya ce poème à Mallarmé. Un autre poème de Nouveau et qui n'est pourtant pas de ses meilleurs, « Poison perdu », fut attribué à Rimbaud par Verlaine, qui le publia dans son édition des Ouvres complètes de Rimbaud, en 1895. Selon Delahaye, Nouveau lui-même ne contestait pas cette attribution. Il serait allé un jour jusqu'à raconter que dans sa jeunesse plusieurs camarades ei lui-même connaissaient par cour plusieurs poésies de Rimbaud : « celles que nous chantions le plus souvent, c'était Ophélie", c'était surtout "Poison perdu". » C'est en 1923 que Delahaye rapporta ces propos, qui auraient été tenus vingt ans plus tôt. Nouveau aurait été bien empêché de connaître « Poison perdu » avant sa rencontre avec Rimbaud puisque ce petit poème évoque leur séparation. Peut-être ne lui déplaisait-il pas que, plus tard, on imagine que Rimbaud avait comme lui subi une déprime quand prit fin leur vie commune. Nouveau rencontra Verlaine en 1875. Celui-ci était curieux de le connaître parce que Rimbaud lui avait parlé de lui, lors de leur revoir à Stuttgart, et même l'avait chargé de lui transmettre le manuscrit définitif des Illuminations. Les biographes de Nouveau situent cette année-là ce qu'ils appellent sa « conversion » sur la foi d'une phrase du poète dans une lettre à son oncle Silvy, auquel il déclare qu'il serait resté dans le pensionnat anglais où il travaillait « si Dieu ne m'avait attendu là ». De toute façon, le mol « conversion » convient mal. Nouveau était né catholique et l'est resté jusqu'à sa mort. Seulement, suivant les périodes, il mettait ses sentiments religieux en veilleuse ou bien les exaltait. Son christianisme revêtit des formes très différentes. Il resta toujours une composante de sa nature. Ayant perdu très jeune ses parents, il avait connu, à treize ans, l'internat au petit séminaire d'Aix et même dans une classe préparant à la prêtrise. Sans doute avait-il manifesté une attirance pour le service du Seigneur. Cependant son goût pour la poésie et la peinture n'était pas moins vif. Poésie, peinture et religion ne sont pas incompatibles. Il y avait aussi chez Nouveau le besoin de libre divertissement. Il quitta le séminaire pour le collège Bourbon, où il fit de bonnes études classiques, obtint son bachot et un prix de dessin au Concours général. Il devint ensuite pion au lycée de Marseille. Comment envisageait-il l'avenir ? Il attendait d'être majeur pour disposer de sa part d'héritage, oh pas considérable, lui permettant pourtant de prendre le train pour Paris. Il fut rapidement admis dans de petits cercles littéraires, collabora à des revues et à des journaux, fréquenta le salon de Nina de Villars, l'amie de Charles Cros. Richepin pense qu'il aurait pu réussir une belle carrière littéraire - comme lui-même qui finit à l'Académie française -, s'il n'avait été victime de « camaraderies désastreuses », précisément celles de Rimbaud et de Verlaine, lesquels lui donnèrent le goût du vagabondage et des boissons fortes. On a souvent écrit que Verlaine, qui travaillait alors à son recueil Sagesse, avait ramené Nouveau vers la religion de son enfance. C'est en 1877, lors d'un séjour chez Verlaine à Arras, que Nouveau alla visiter la maison de saint Benoît I.abre à Amettes. Il commença peu après à composer les premiers poèmes de La Doctrine de l'Amour. Nouveau se sentait-il déjà prêt à suivre l'exemple de Benoît Labre ? Il rêvait (c'est le verbe qu'il emploiE) à ce que pourrait devenir le monde si les hommes s'efforçaient de devenir meilleurs. La manière dont il s'adresse au Christ n'a pas fini de surprendre : O mon Seigneur Jésus, adolescent fêlé. Mon âme vous contemple avec humilité Car vous êtes la Grâce en étant la Beauté. Le recueil est une invitation (une incitatioN) à l'amour universel. Dans le poème qui s'intitule « L'Amour de l'amour », quatorze strophes apparaissent débordantes d'allégresse et c'est in extremis dans une quinzième strophe qu'est rappelé le sacrifice du Golgotha. Le rythme général est celui d'une ample musique où domine l'alexandrin. André Breton, que l'on ne savait pas si sensible aux chants d'église, a écrit : « Avec délice j'écoute refleurir le chani grégorien dans ces vers. » Nouveau esi devenu employé au ministère de l'Instruction publique. Il y donne d'abord satisfaction puisqu'il est nommé officier d'Académie en 1881. Puis ça se gâte. Il tombe malade et démissionne. Sur ces entrefaites, on lui offre un poste de professeur au Liban et il s'embarque pour Beyrouth. On cesse bientôt de le payer et il doit demander son rapatriement. Le revoici à Paris où il renoue avec la vie de Bohème. Il commence à composer des madrigaux qui seront réunis plus tard sous le titre de Valetuines. Ils lui auraient été inspirés par une certaine Valentine Renault, dont le nom est cité dans le recueil, mais qu'aucun des amis de Nouveau n'a rencontrée. Béatrix Beck s'est interrogée : .< Est-elle fille, garçon ou fantôme ? Nouveau célèbre ses "jolis doigts de gamin" qui "se passent de bague", tout en jouant sur le fait qu'il est et n'est pas pédéraste » (voir le poème « Le Refus »). Les premières Valetuines sont des poèmes légers, mais les derniers éclatent de passion. Ah ! on est loin du christianisme. Un poème s'intitule même « Athée » et contient de rudes blasphèmes. Nouveau chante toujours l'amour de l'amour, mais cette fois il s'agit d'une glorification de la sensualité et du plaisir. On a parlé de « pansexualisme » (l'affreux moT). Abandonnant Valentine, sans cesser de penser à elle (?), Nouveau quitte Paris en 1886 pour devenir professeur de dessin en province, à Bourgoin puis à Remiremont. Deux ans plus tard, il obtient un poste de suppléant au lycée Janson-de-Sailly. C'est en pleine classe, le 14 mai 1891, qu'il est pris de ce que certains de ses biographes appellent une crise de folie mystique et d'autres un accès de délirium tremens. Après avoir hurlé à ses élèves : « Que Dieu est grand ! », il sort du lycée en gesticulant et en tenant des propos sans suite. Dans la rue, il s'agenouille et baise le sol. Des agents l'arrêtent. Il sera conduit à l'asile Sainte-Anne, puis à Bicêtre où il composa un de ses plus beaux poèmes, « Aux Saints ». Libéré à l'automne, il entreprend de nouveaux voyages : retour en Belgique et en Angleterre, puis l'Italie et l'Afrique du Nord, d'où il écrit à Rimbaud, mort depuis deux ans. Il attend un nouveau poste de professeur. Quand il l'obtient, en 1897, il démissionne presque aussitôt. Il ne supporte plus les contraintes qu'impose tout métier. Il en connaîtra d'autres. Commence alors une existence en marge, de vagabond et de mendiant. Il devient un vrai disciple de saint Benoît Labre. Il n'a d'autre moyen de gagner un peu d'argent que de « faire le portrait », mais il conserve le goût des lointains et il ira encore en Italie, en Espagne, en Algérie. Dans sa soixantième année, il se relire dans son village natal de Pourrières. Il y végétera une dizaine d'années, bougon souvent, heureux peut-être. Comme lui-même était allé visiter la maison de saint Benoît Labre à Amenés, vous pouvez aujourd'hui vous rendre à Pourrières et découvrir rue de la Baraque la misérable Tour Gombert où il est mort, dans une parfaite solitude et un complet dénuement, à Pâques 1920. La publication des Valentines et la réédition des Poèmes d'Humilis ne retinrent l'attention que d'un petit nombre d'amateurs de poésie. Les deux volumes n'avaient été tirés qu'à mille exemplaires chacun. On pouvait toujours se les procurer chez l'éditeur trente ans plus tard. Que l'on me permette de donner un témoignage personnel. Quand j'étais lycéen, à la veille de la dernière Grande Guerre, je disposais, comme manuel de littérature, du livre que Paul Tuffrau tira de l'Histoire de la littérature de Lanson : Nouveau n'y était pas cité. 11 est vrai que Rimbaud, salué pourtant comme « génie précoce », n'avait droit qu'à une note de quatre lignes en bas de page. Nouveau n'apparaissait pas non plus, en 1936, dans l'Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours de Thibaudet. Un peu plus tard, René Lalou l'admettait dans son Histoire de la littérature française contemporaine. Là aussi il ne s'agissait que d'une note (comme Rimbaud chez TuffraU) et particulièrement mal venue : à l'homo duplex « que Verlaine avouait incarner » René Lalou opposait Germain Nouveau « chez qui l'évolution de la bohème à l'ascétisme fut sans retour et qui, après d'assez médiocres Valentines, écrivit les nobles Poèmes d'Humilis » (p. 147). Si, à vingt ans, j'allai acheter les deux recueils chez Messein, quai Saint-Michel, c'est que j'avais lu Les Pas perdus de Breton. En 1948, présentant un poème inédit où Nouveau apostrophait Rimbaud avec humour, Aragon observa, dans Les Lettres françaises, que l'ouvre de Nouveau demeurait « le domaine de quelques-uns ». Il se demandait pourquoi les surréalistes qui s'étaient montrés « les plus acharnés à répandre le virus Rimbaud » ne s'étaient pas dépensés de la même façon pour faire connaître Nouveau. La vérité est que Rimbaud fut assez rapidement reconnu par les poètes de tous bords, tandis que Nouveau ne fut guère salué que par les surréalistes. On est un peu surpris de voir Aragon, dans cet article de 1948, appeler Nouveau |
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Germain Nouveau (1851 - 1920) |
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Portrait de Germain Nouveau | |||||||||
Biographie / OuvresIl est l'aîné des 4 enfants de Félicien Nouveau (1826-1884) et de Marie Silvy (1832-1858). Germain Nouveau perd sa mère alors qu'il n'a que sept ans. Il est élevé par son grand-père. Après une enfance à Aix-en-Provence et des études qu'il effectue au petit séminaire, pensant même à embrasser la prêtrise, et après une année d'enseignement au lycée de Marseille en 1871-1872, Nouveau Chronologie |
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