Henri Michaux |
Je crache sur ma vie. Je m'en désolidarise. Qui ne fait mieux que sa vie? Cela commença quand j'étais enfant. Il y avait un grand adulte encombrant. Comment me venger de lui? Je le mis dans un sac. Là je pouvais le battre à mon aise. Il criait, mais je ne l'écoutais pas. Il n'était pas intéressant. Cette habitude de mon enfance, je l'ai sagement gardée. Les possibilités d'intervention qu'on acquiert en devenant adulte, outre qu'elles ne vont pas loin, je m'en méfiais. A qui est au lit, on n'offre pas une chaise. Cette habitude, dis-je, je l'ai justement gardée, et jusqu'aujourd'hui gardée secrète. C'était plus sûr. Son inconvénient - car il y en a un - c'est que grâce à elle, je supporte trop facilement des gens impossibles. Je sais que je les attends au sac. Voilà qui donne une merveilleuse patience. Je laisse exprès durer des situations ridicules et s'attarder mes empêcheurs de vivre. La joie que j'aurais à les mettre à la porte en réalité est retenue au moment de l'action par les délices incomparablement plus grandes de les tenir prochainement dans le sac. Dans le sac où je les roue de coups impunément et avec une fougue à lasser dix hommes robustes se relayant méthodiquement. Sans ce petit art à moi, comment aurais-je passé ma vie décourageante, pauvre souvent, toujours dans les coudes des autres? Comment aurais-je pu la continuer des dizaines d'années à travers tant de déboires, sous tant de maîtres, proches ou lointains, sous deux guerres, deux longues occupations par un peuple en armes et qui croit aux quilles abattues, sous d'autres innombrables ennemis. Mais l'habitude libératrice me sauva. De justesse il est vrai, et je résistai au désespoir qui semblait devoir ne me laisser rien. Des médiocres, des raseuses, une brute dont j'eusse pu me défaire cent fois, je me les gardais pour la séance de sac. |
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Henri Michaux (1899 - 1984) |
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Portrait de Henri Michaux | |||||||||
BibliographieEn 1922, lors de son séjour à l'hôpital consécutif à ces problèmes cardiaques, il découvre Lautréamont, dont l'oeuvre lui donne la liberté et l'étincelle créative pour écrire ses propres poèmes. « Cas de folie circulaire », fut son premier poème publié en 1922 dans la revue littéraire Le Disque Vert, dirigée par Franz Hellens. Celui-ci, fervent amateur de Michaux, ira jusqu'à le nommer co-directeu Ouvres d'henri michauxHenri Michaux (Namur, 24 mai 1899 - Paris, 19 octobre 1984) est un écrivain, poète et peintre d'origine belge d'expression française naturalisé français en 1955. Son ouvre est souvent rattachée au courant surréaliste, même s'il n'a pas fait partie du mouvement. BiographieNé le 24 mai 1899 à Namur, Henri Michaux arrive en 1924 à Paris où il côtoie les peintres surréalistes et se lie d'amitié avec Jules Supervielle et le peintre Zao Wou KI. Après avoir longuement voyagé de 1927 à 1937 en Asie et en Amérique du Sud, il se retire dans le Midi durant la guerre. Il est mort à Paris le 19 octobre 1984. Si la mescaline est en grande partie à l'origine de son ouvre pictura |
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