Henri Michaux |
La tranquillité qu'on a dans la vie (car on en a, et parfois tellement longue qu'on souhaite presque le malheur, tellement on s'en ennuie), la tranquillité qu'on a dans la vie, repose sur une confiance, qui repose sur des confiances, lesquelles reposent en somme sur notre tête, qu'une expérience limitée nous porte à juger solide. Mais un jour, à l'occasion d'une poutre de maison qui tombe, cependant que le plafond crève, vous bombardant d'un supplément de coups d'ailleurs inutiles, le crâne montre ce qu'il est, un objet, et parmi les objets, un objet fragile. C'est ce qui frappe sur le moment les témoins. Vous, c'est pour plus tard et c'est autre chose. En ce moment vous êtes coi. Et dès qu'un homme est vraiment coi, il faut s'attendre que les autres le soient d'autant moins. Ils s'occupent, se suroccupent de vous. Comme on dit, « ils interviennent ». Mais intervention ou non, le fracturé du crâne... bien, il saura plus tard. Quand trois jours après, le crâne encoffré de bandages, il soulève incertain une paupière lasse, les médecins et les aides se congratulent. Mais lui, il ne se congratule pas. Il ne congratule personne. Il y a un endroit en son corps où l'on vit de préférence. Pas le même chez tous. C'est naturel. Mais il est naturel à beaucoup d'aimer se tenir dans leur tête. Ils circulent, bien sûr, redescendent, vont d'organe à organe, de-ci, de-là, mais ils aiment retourner souvent dans leur tête. C'est ce que le trépané essaie aussitôt de faire, mais une seconde après cet aussitôt, il sait, il sent, il est assuré que jamais il ne pourra remonter dans sa tête, du moins ce ne sera plus pour y habiter vraiment. Il y a un endroit surtout dans sa tête où il voudrait aller, un endroit qu'il connaît bien, lui seul, d'où il voyait venir les autres et leurs petites affaires et d'où il savait les freiner quand il le fallait, tout doucement, sans qu'il en sortît trop d'ennuis, un endroit perdu maintenant dans ce grand vide qui bouge... et qui fait mal. Une guerre vient. Une guerre passe. Avant de passer elle se dépense beaucoup. Elle se dépense énormément. Il est donc naturel qu'elle écrase par-ci par-là quelques crânes. C'est ce que le trépané se dit. Il ne veut pas de pitié. Il voudrait seulement rentrer dans sa tête. Que ce soit le jour, que ce soit la nuit, il est un trépané. Quoique la lumière la plus atténuée de la lampe la plus douce lui fasse mal à présent (car tout est brutal qui entre par la tête quand quelque chose de vraiment brutal y est une première fois, entré), il la préfère peut-être au noir où l'on songe. Mais ce n'est pas une vraie préférence. Il ne cherche pas cela, il cherche, il cherche uniquement, il cherche sans cesse, il ne cherche qu'à remonter dans sa tête. |
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Henri Michaux (1899 - 1984) |
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Portrait de Henri Michaux | |||||||||
BibliographieEn 1922, lors de son séjour à l'hôpital consécutif à ces problèmes cardiaques, il découvre Lautréamont, dont l'oeuvre lui donne la liberté et l'étincelle créative pour écrire ses propres poèmes. « Cas de folie circulaire », fut son premier poème publié en 1922 dans la revue littéraire Le Disque Vert, dirigée par Franz Hellens. Celui-ci, fervent amateur de Michaux, ira jusqu'à le nommer co-directeu Ouvres d'henri michauxHenri Michaux (Namur, 24 mai 1899 - Paris, 19 octobre 1984) est un écrivain, poète et peintre d'origine belge d'expression française naturalisé français en 1955. Son ouvre est souvent rattachée au courant surréaliste, même s'il n'a pas fait partie du mouvement. BiographieNé le 24 mai 1899 à Namur, Henri Michaux arrive en 1924 à Paris où il côtoie les peintres surréalistes et se lie d'amitié avec Jules Supervielle et le peintre Zao Wou KI. Après avoir longuement voyagé de 1927 à 1937 en Asie et en Amérique du Sud, il se retire dans le Midi durant la guerre. Il est mort à Paris le 19 octobre 1984. Si la mescaline est en grande partie à l'origine de son ouvre pictura |
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