Henri Michaux |
Le cauchemar. Le cauchemar fut si noir que ma tête charbonna. En cet état, je craignais qu'elle ne s'effritât. Nouveau danger... Tête dentée. Dentée circulairement. Et elle s'engrène. Sur quoi? Sur d'autres têtes. Pareillement à dents. Engrenage par têtes, engrenage circulaire. Quelle danse de derviches en ferait autant? Danse par la tête, par l'essieu et je les fais tourner dans l'engrenage infernal. Moi avec. Le mouvement s'accélère. Je l'accélère encore et la machine aux têtes dentées ronfle sourdement. Soins corporels. Quel drôle de Narcisse je fais : Je me scalpe. Je m'écorche. Des pieds à la tête, des pieds au front, que je m'arrache comme une souffrante pelure. Ainsi je me martyrise. Pourquoi? Besoin d'activité. Que faire alors? Je m'écorche. Je n'ai pas l'imagination du bonheur. Et pourquoi moi? Il ne me vient pas à l'esprit d'en écorcher un autre que moi. Il faudrait y songer peut-être... Sous les doigts du potier. C'est moi qui suis le potier. Sous le doigt dominateur qui, tel le trépan dans le roc entre sans réplique, je me creuse moi-même. Ma tête, ma seule tête, sous la pression continue, se déprime, cède, devient un creux, nouveau et inquiétant nombril. Je fais aussi tourner des disques, mais bientôt c'est moi la galette du disque et l'aiguille imperturbable me laboure, laboure mon crâne, laboure mon genou qu'elle perce jusqu'à la synovie. Meule de chair, comment me plairai-je à cette déplorable occupation? Mais le travail est en train. Comment l'arrêter maintenant? A quatre pattes. Dès que vous avez perdu votre centre en vous, vous pourrez aussi bien qu'homme être crapaud, petite masse qui attend le coup de pied. Animal à quatre pattes. Je le suis. Je le deviens. Né de ma faiblesse. Ne coïncidant plus (par mes lignes de force intérieures, flageolantes à présent ou même détruites) avec mon organisme bipé-dique, je trouve meilleur appui sur quatre pattes. Fatigue d'abord. Fatigue. Puis ne suis ni homme, ni sable, mais plus sable qu'homme. Puis plus sable que toute autre chose. Puis extension. Fatigue. Fatigue. En moi-même, je m'étends. Je me livre à une extrême extension. Il faut arriver à me reposer. Ce sera sur pattes, exactement sur quatre piles de petits disques. N'y aurait-il pas un modèle de pattes plus simple? Peut-être. Peut-être. Enfin! L'important est fait. L'infernal effort pour demeurer toujours homme, m'en voilà libéré. Avec quel plaisir, étendu maintenant sur ses pattes longues et fines, mon corps serpente doucement sur ses pattes échassières. |
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Henri Michaux (1899 - 1984) |
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Portrait de Henri Michaux | |||||||||
BibliographieEn 1922, lors de son séjour à l'hôpital consécutif à ces problèmes cardiaques, il découvre Lautréamont, dont l'oeuvre lui donne la liberté et l'étincelle créative pour écrire ses propres poèmes. « Cas de folie circulaire », fut son premier poème publié en 1922 dans la revue littéraire Le Disque Vert, dirigée par Franz Hellens. Celui-ci, fervent amateur de Michaux, ira jusqu'à le nommer co-directeu Ouvres d'henri michauxHenri Michaux (Namur, 24 mai 1899 - Paris, 19 octobre 1984) est un écrivain, poète et peintre d'origine belge d'expression française naturalisé français en 1955. Son ouvre est souvent rattachée au courant surréaliste, même s'il n'a pas fait partie du mouvement. BiographieNé le 24 mai 1899 à Namur, Henri Michaux arrive en 1924 à Paris où il côtoie les peintres surréalistes et se lie d'amitié avec Jules Supervielle et le peintre Zao Wou KI. Après avoir longuement voyagé de 1927 à 1937 en Asie et en Amérique du Sud, il se retire dans le Midi durant la guerre. Il est mort à Paris le 19 octobre 1984. Si la mescaline est en grande partie à l'origine de son ouvre pictura |
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