Jules Laforgue |
Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire! Qu'il me semble profane, injuste, et téméraire, Mettant de faux milieux entre la chose et lui, Et mesurant par soi ce qu'il voit en autrui ! Le maître d'Êpicure en fit l'apprentissage. Son pays le crut fou : petits esprits! Mais quoi? Aucun n'est prophète chez soi. Ces gens étoient les fous, Démocrite, le sage. L'erreur alla si loin qu'Abdère députa Vers Hippocrate et l'invita, Par lettres et par ambassade, A venir rétablir la raison du malade : a Notre concitoyen, disoient-ils en pleurant, Perd l'esprit : la lecture a gâté Démocrite; Nous l'estimerions plus s'il étoit ignorant. « Aucun nombre, dit-il, les mondes ne limite : « Peut-être même ils sont remplis « De Démocrites infinis. » Non content de ce songe, il y joint les atonies. Enfants d'un cerveau creux, invisibles fantômes; Et, mesurant les deux sans bouger d'ici-bas, Il connoît l'univers, et ne se connoît pas. Un temps fut qu'il savoit accorder les débats : Maintenant il parle à lui-même. Venez, divin mortel; sa folie est extrême. » Hippocrate n'eut pas trop de foi pour ces gens; Cependant il partit. Et voyez, je vous prie. Quelles rencontres dans la vie Le sort cause! Hippocrate arriva dans le temps Que celui qu'on disoit n'avoir raison ni sens Cherchoit dans l'homme et dans la bête Quel siège a la raison, soit le cour, soit la tête. Sous un ombrage épais, assis près d'un ruisseau, Les labyrinthes d'un cerveau L'occupoient. Il avoit à ses pieds maint volume, Et ne vit presque pas son ami s'avancer, Attaché selon sa coutume. Leur compliment fut court, ainsi qu'on peut penser Le sage est ménager du temps et des paroles. Ayant donc mis à part les entretiens frivoles, Et beaucoup raisonné sur l'homme et sur l'esprit. Ils tombèrent sur la morale. Il n'est pas besoin que j'étale Tout ce que l'un et l'autre dit. Le récit précédent suffit Pour montrer que le peuple est juge récusable. En quel sens est donc véritable Ce que j'ai lu dans certain lieu, Que sa voix est la voix de Dieu? |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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