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Jules Laforgue



Du thésauriseur et du singe - Fable


Fable / Poémes d'Jules Laforgue





Un homme accumuloit.
On sait que cette erreur

Va souvent jusqu'à la fureur.
Celui-ci ne songeoit que ducats et pistoles.
Quand ces biens sont oisifs, je tiens qu'ils sont frivoles.

Pour sûreté de son trésor,
Notre
Avare habitoit un lieu dont
Amphitrite
Défendoit aux voleurs de toutes parts l'abord.
Là, d'une volupté selon moi fort petite,
Et selon lui fort grande, il entassoit toujours :

Il passoit les nuits et les jours
A compter, calculer, supputer sans relâche.
Calculant, supputant, comptant comme à la tâche :
Car il trouvoit toujours du mécompte à son fait.
Un gros
Singe, plus sage, à mon sens, que son maître,
Jetoit quelque doublon toujours par la fenêtre.
Et rendoit le compte imparfait :
La chambre, bien cadenassée,
Permettoit de laisser l'argent sur le comptoir.
Un beau jour dom
Bertrand se mit dans la pensée
D'en faire un sacrifice au liquide manoir.
Quant à moi, lorsque je compare
Les plaisirs de ce
Singe à ceux de cet
Avare,
Je ne sais bonnement auxquels donner le prix :
Dom
Bertrand gagnerait près de certains esprits;
Les raisons en seroient trop longues à déduire.
Un jour donc l'Animal, qui ne songeoit qu'à nuire,
Détachoit du monceau, tantôt quelque doublon,
Un jacobus, un ducaton.
Et puis quelque noble à la rose;
Eprouvoit son adresse et sa force à jeter



Ces morceaux de métal, qui se font souhaiter

Par les humains sur toute chose.
S'il n'avoit entendu son compteur à la fin

Mettre la clef dans la serrure,
Les ducats auroient tous pris le même chemin.

Et couru la même aventure;
Il les auroit fait tous voler jusqu'au dernier
Dans le gouffre enrichi par maint et maint naufrage.
Dieu veuille préserver maint et maint financier

Qui n'en fait pas meilleur usage!

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Jules Laforgue
(1860 - 1887)
 
  Jules Laforgue - Portrait  
 
Portrait de Jules Laforgue

Biographie jules laforgue

«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè

Orientation bibliographique / Ouvres

L'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit

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