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Jules Laforgue



La chauve-souris, le buisson et le canard - Fable


Fable / Poémes d'Jules Laforgue





Le
Buisson, le
Canard, et la
Chauve-Souris,
Voyant tous trois qu'en leur pays
Ils faisoient petite fortune.

Vont trafiquer au loin, et font bourse commune.

Ils avoient des comptoirs, des facteurs, des agents
Non moins soigneux qu'intelligents,

Des registres exacts de mise et de recette.

Tout alloit bien; quand leur emplette.
En passant par certains endroits
Remplis d'écueils et fort étroits(
Et de trajet très-difficile,

Alla tout emballée au fond des magasins
Qui du
Tartare sont voisins.

Notre trio poussa maint regret inutile;
Ou plutôt il n'en poussa point,

Le plus petit marchand est savant sur ce point :

Pour sauver son crédit, il faut cacher sa perte.

Celle que, par malheur, nos gens avoient soufferte

Ne put se réparer : le cas fut découvert.

Les voilà sans crédit, sans argent, sans ressource.

Prêts à porter le bonnet vert.

Aucun ne leur ouvrit sa bourse.
Et le sort principal, et les gros intérêts,

Et les sergents, et les procès.

Et le créancier à la porte

Dès devant la pointe du jour,
N'occupoient le trio qu'à chercher maint détour

Pour contenter cette cohorte.
Le
Buisson accrochoit les passants à tous coups. «
Messieurs, leur disoit-il, de grâce, apprenez-nous

En quel lieu sont les marchandises

Que certains gouffres nous ont prises. »
Le
Plongeon sous les eaux s'en alloit les chercher.
L'Oiseau
Chauve-Souris n'osoit plus approcher

Pendant le jour nulle demeure :

Suivi de sergents à toute heure.

En des trous il s'alloit cacher.

Je connois maint detteur qui n'est ni souris-chauve,
Ni buisson, ni canard, ni dans tel cas tombé,
Mais simple grand seigneur, qui tous les jours se sauve
Par un escalier dérobé.

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Jules Laforgue
(1860 - 1887)
 
  Jules Laforgue - Portrait  
 
Portrait de Jules Laforgue

Biographie jules laforgue

«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè

Orientation bibliographique / Ouvres

L'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit

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