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Jules Laforgue



La goutte et l'araignée - Fable


Fable / Poémes d'Jules Laforgue





Quand l'Enfer eut produit la
Goutte et l'Araignée, «
Mes filles, leur dit-il, vous pouvez vous vanter

D'être pour l'humaine lignée

Également à redouter.
Or avisons aux lieux qu'il vous faut habiter.

Voyez-vous ces cases étrètes,
Et ces palais si grands, si beaux, si bien dorés?
Je me suis proposé d'en faire vos retraites.

Tenez donc, voici deux bûchettes ;

Accommodez-vous, ou tirez. -
Il n'est rien, dit l'Aragne, aux cases qui me plaise. »
L'autre, tout au rebours, voyant les palais pleins

De ces gens nommés médecins,
Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise.
Elle prend l'autre lot, y plante le piquet,
S'étend à son plaisir sur l'orteil d'un pauvre homme.
Disant : «
Je ne crois pas qu'en ce poste je chomme,
Ni que d'en déloger et faire mon paquet

Jamais
Hippocrate me somme. »
L'Aragne cependant se campe en un lambris,
Comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie.
Travaille à demeurer : voilà sa toile ourdie.

Voilà des moucherons de pris.
Une servante vient balayer tout l'ouvrage.
Autre toile tissue, autre coup de balai.
Le pauvre bestion tous les jours déménage.

Enfin, après un vain essai,



Il va trouver la
Goutte.
Elle étoit en campagne.

Plus malheureuse mille fois

Que la plus malheureuse aragne.
Son hôte la menoit tantôt fendre du bois.
Tantôt fouir, houer : goutte bien tracassée

Est, dit-on, à demi pansée. «
Oh! je ne saurois plus, dit-elle, y résister.
Changeons, ma sour l'Aragne. »
Et l'autre d'écouter :
Elle la prend au mot, se glisse en la cabane :
Point de coup de balai qui l'oblige à changer.
La
Goutte, d'autre part, va tout droit se loger

Chez un prélat, qu'elle condamne

A jamais du lit ne bouger.
Cataplasmes,
Dieu sait!
Les gens n'ont point de honte
De faire aller le mal toujours de pis en pis.
L'une et l'autre trouva de la sorte son conte.
Et fit très-sagement de changer de logis.

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Jules Laforgue
(1860 - 1887)
 
  Jules Laforgue - Portrait  
 
Portrait de Jules Laforgue

Biographie jules laforgue

«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè

Orientation bibliographique / Ouvres

L'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit

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