Jules Laforgue |
La pêne d'un époux rie va point sans soupirs; On fait beaucoup de bruit; et puis on se console Sut les ailes du Temps la tristesse s'envole, Le Temps ramène les plaisirs. Entre la veuve d'une année Et la veuve d'une journée La différence est grande; on ne croirait jamais Que ce fût la même personne : L'une fait fuir "les gens, et l'autre a mille attraits. Aux soupirs vrais ou faux celle-là s'abandonne; C'est toujours même note et pareil entretien; On dit qu'on est inconsolable; On le dit, mais il n'en est rien. Comme on verra par cette fable, Ou plutôt par la vérité. L'époux d'une jeune beauté Partoit pour l'autre monde. A ses côtés, sa femme Lui crioit : « Attends-moi, je te suis; et mon âme, Aussi bien que la tienne, est prête à s'envoler. » Le mari fait seul le voyage. La belle avoit un père, homme prudent et sage; Il laissa le tonent couler. A la fin, pour la consoler : « Ma fille, lui dit-il, c'est trop verser de larmes : Qu'a besoin le défunt que vous noyiez vos charmes? Puisqu'il est des vivants, ne songez plus aux morts. Je ne dis pas que tout à l'heure Une condition meilleure Change en des noces ces transports; Mais, après certain temps, souffrez qu'on vous propose Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose Que le défunt. - Ah! dit-elle aussitôt, Un cloître est l'époux qu'il me faut. » Le père lui laissa digérer sa disgrâce. Un mois de la sorte se passe; L'autre mois, on l'emploie à changer tous les jours Quelque chose à l'habit, au linge, à la coiffure : Le deuil enfin sert de parure. En attendant d'autres atours; Toute la bande des Amours Revient au colombier; les jeux, les ris, la danse, Ont aussi leur tour à la fin : On se plonge soir et matin Dans la fontaine de Jouvence. Le père ne craint plus ce défunt tant chéri; Mais comme il ne parloit de rien à notre belle : « Où donc est le jeune mari Que vous m'avez promis? » dit-elle. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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