Jules Laforgue |
Une Souris craignoit un Chat Qui dès longtemps la guettoit au passage. Que taire en cet état? Elle, prudente et sage. Consulte son voisin : c'étoit un maître Rat, Dont la rateuse seigneurie S'étoit logée en bonne hôtellerie, Et qui cent fois s'étoit vanté, dit-on, De ne craindre de chat ou chatte Ni coup de dent, ni coup de patte. « Dame Souris, lui dit ce fanfaron, Ma foi, quoi que je fasse, Seul, je ne puis chasser le Chat qui vous menace Mais assemblant tous les Rats d'alentour. Je lui pourrai jouer d'un mauvais tour. » La Souris fait une humble révérence; Et le Rat court en diligence A l'office, qu'on nomme autrement la dépense, Où maints Rats assemblés Faisoient, aux frais de l'hôte, une entière bombance. Il arrive, les sens troublés. Et les poumons tout essoufflés. « Qu'avez-vous donc? lui dit un de ces Rats; parlez. - En deux mots, répond-il, ce qui fait mon voyage, C'est qu'il tàut promptement secourir la Souris; Car Raminagrobis Fait en tous lieux un étrange ravage. Ce Chat, le plus diable des Chats, S'il manque de souris, voudra manger des rats. » Chacun dit : « Il est vrai. Sus! sus! courons aux armes! » Quelques Rates, dit-on, répandirent des larmes. N'importe, rien n'arrête un si noble projet : Chacun se met en équipage; Chacun met dans son sac un morceau de fromage; Chacun promet enfin de risquer le paquet. Ils alloient tous comme à la fête, L'esprit content, le coeur joyeux. Cependant le Chat, plus fin qu'eux, Tenoit déjà la Souris par la tête. Ils s'avancèrent à grands pas Pour secourir leur bonne amie : Mais le Chat, qui n'en démord pas. Gronde et marche au-devant de la troupe ennemie. A ce bruit, nos très-prudents Rats, Craignant mauvaise destinée. Font, sans pousser plus loin leur prétendu fracas, Une retraite fortunée. Chaque Rat rentre dans son trou; Et si quelqu'un en sort, gare encor le Matou ! |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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