Jules Laforgue |
La Mort ne surprend point le sage; Il est toujours prêt à partir, S'étant su lui-même avertir Du temps où l'on se doit résoudre à ce passage. Ce temps, hélas! embrasse tous les temps : Qu'on le partage en jours, en heures, en moments. Il n'en est point qu'il ne comprenne Dans le fatal tribut; tous sont de son domaine; Et le premier instant où les enfants des rois Ouvrent les yeux à la lumière Est celui qui vient quelquefois Fermer pour toujours leur paupière. Défendez-vous par la grandeur. Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse : La Mort ravit tout sans pudeur; Un jour le monde entier accroîtra sa richesse. Il n'est rien de moins ignoré, Et puisqu'il faut que je le die, Rien où l'on soit moins préparé. Un Mourant, qui comptoit plus de cent ans de vie. Se plaignoit à la Mort que précipitamment Elle le contraignoit de partir tout à l'heure, Sans qu'il eût fait son testament, Sans l'avertir au moins. « Est-il juste qu'on meure Au pied levé? dit-il; attendez quelque peu : Ma femme ne veut pas que je parte sans elle; Il me reste à pourvoir un arriére-neveu; Souffrez qu'à mon logis j'ajoute encore une aile. Que vous êtes pressante, ô Déesse cruelle! - Vieillard, lui dit la Mort, je ne t'ai point surpris; Tu te plains sans raison de mon impatience : Eh! n'as-tu pas cent ans? Trouve-moi dans Paris Deux mortels aussi vieux; trouve-m'en dix en France. Je devois, ce dis-tu, te donner quelque avis Qui te disposât à la chose : J'aurois trouvé ton testament tout fait, Ton petit-fils pourvu, ton bâtiment parfait. Ne te donna-t-on pas des avis, quand la cause Du marcher et du mouvement. Quand les esprits, le sentiment. Quand tout faillit en toi. Plus de goût, plus d'ouïe; Toute chose pour toi semble être évanouie; Pour toi l'astre du jour prend des soins superflus; Tu regrettes des biens qui ne te touchent plus. Je t'ai fait voir tes camarades Ou morts, ou mourants, ou malades : Qu'est-ce que tout cela, qu'un avertissement? Allons, vieillard, et sans réplique. Il n'importe à la République Que tu fasses ton testament. » La Mort avoit raison. Je voudrois qu'à cet âge On sortît de la vie ainsi que d'un banquet, Remerciant son hôte, et qu'on fît son paquet; Car de combien peut-on retarder le voyage? Tu murmures, vieillard ! Vois ces jeunes mourir, Vois-les marcher, vois-les courir A des morts, il est vrai, glorieuses et belles, Mais sûres cependant, et quelquefois cruelles. J'ai beau te le crier; mon zélé est indiscret : Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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