Jules Laforgue |
Une Tortue étoit, à la tête légère. Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays. Volontiers on fait cas d'une terre étrangère; Volontiers gens boiteux haïssent le logis. Deux Canards, à qui la commère Communiqua ce beau dessein, Lui dirent qu'ils avoient de quoi la satisfaire. « Voyez-vous ce large chemin? Nous vous voiturerons, par l'air, en Amérique : Vous verrez mainte république. Maint royaume, maint peuple; et vous profiterez Des différentes mours que vous remarquerez. Ulysse en fit autant. » On ne s'attendoit guère De voir Ulysse en cette affaire. La Tortue écouta la proposition. Marché fait, les Oiseaux forgent une machine Pour transporter la pèlerine. Dans la gueule, en travers, on lui passe un bâton. « Serrez bien, dirent-ils, gardez de lâcher prise. » Puis chaque Canard prend ce bâton par un bout. La Tortue enlevée, on s'étonne partout De voir aller en cette guise L'animal lent et sa maison, Justement au milieu de l'un et l'autre Oison. « Miracle! crioit-on : venez voir dans les nues Passer la reine des tortues. - La reine! vraiment oui : je la suis en effet; Ne vous en moquez point. » Elle eût beaucoup mieux De passer son chemin sans dire aucune chose; [fait Car, lâchant le bâton en desserrant les dents. Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants. Son indiscrétion de sa perte fut cause. Imprudence, babil, et sotte vanité, Et vaine curiosité, Ont ensemble étroit parentage. Ce sont enfants tous d'un lignage. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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