Jules Laforgue |
Ne t'attends qu'à toi seul : c'est un commun proverbe. Voici comme Ésope le mit En crédit : Les alouettes font leur nid Dans les blés, quand ils sont en herbe, C'est-à-dire environ le temps Que tout aime et que tout pullule dans le monde. Monstres marins au fond de l'onde, Tigres dans les forêts, alouettes aux champs. Une pourtant de ces dernières Avoit laissé passer la moitié d'un printemps Sans goûter le plaisir des amours printanières. A toute force enfin elle se résolut D'imiter la nature, et d'être mère encore. Elle bâtit un nid, pond, couve, et fait éclore, A la hâte : le tout alla du mieux qu'il put. Les blés d'alentour mûrs avant que la nitée Se trouvât assez forte encor Pour voler et prendre l'essor, De mille soins divers l'Alouette agitée S'en va chercher pâture, avertit ses enfants D'être toujours au guet et faire sentinelle. « Si. le possesseur de ces champs Vient avecque son fils, comme il viendra, dit-elle, Écoutez bien : selon ce qu'il dira, Chacun de nous décampera. » Sitôt que l'Alouette eut quitté sa famille, Le possesseur du champ vient avecque son fils. « Ces blés sont mûrs, dit-il : allez chez nos amis Les prier que chacun, apportant sa faucille. Nous vienne aider demain dès la pointe du jour. » Notre Alouette de retour Trouve en alarme sa couvée. L'un commence : « Il a dit que, l'aurore levée, L'on fît venir demain ses amis pour l'aider. - S'il n'a dit que* cela, repartit l'Alouette, Rien ne nous presse encor de changer de retraite, Mais c'est demain qu'il faut tout de bon écouter. Cependant soyez gais; voilà de quoi manger. » Eux repus, tout s'endort, les petits et la mère. L'aube du jour arrive, et d'amis point du tout. L'Alouette à l'essor, le Maître s'en vient faire Sa ronde ainsi qu'à l'ordinaire. « Ces blés ne devroient pas, dit-il, être debout. Nos amis ont grand tort, et tort qui se repose Sur de tels paresseux, à servir ainsi lents. Mon fils, allez chez nos parents Les prier de la même chose. » L'épouvanté est au nid plus forte que jamais. « Il a dit ses parents, mère, c'est à cette heure... - Non, mes enfants; dormez en paix : Ne bougeons de notre demeure. » L'Alouette eut raison; car personne ne vint. Pour la troisième fois, le Maître se souvint De visiter ses blés. « Notre erreur est extrême, Dit-il, de nous attendre à d'autres gens que nous. Il n'est meilleur ami ni parent que soi-même. Retenez bien cela, mon fils. Et savez-vous Ce qu'il faut faire? Il faut qu'avec notre famille Nous prenions dès demain chacun une faucille : C'est là notre plus court; et nous achèverons Notre moisson quand nous pourrons. » Dès lors que ce dessein fut su de l'Alouette : « C'est ce coup qu'il est bon de partir, mes enfants. » Et les petits, en même temps, Voletants, se culebutants, Délogèrent tous sans trompette. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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