Jules Laforgue |
L'Ane d'un Jardinier se plaignoit au Destin De ce qu'on le faisoit lever devant l'aurore. « Les coqs, lui disoit-il, ont beau chanter matin, Je suis plus matineux encore. Et pourquoi? pour porter des herbes au marché : Belle nécessité d'interrompre mon somme! » Le Sort, de sa plainte touché, Lui donne un autre maître, et l'animal de somme Passe du Jardinier aux mains d'un Corroyeur. La pesanteur des peaux et leur mauvaise odeur Eurent bientôt choqué l'impertinente bête. « J'ai regret, disoit-il, à mon premier seigneur : Encor, quand il tournoit la tête, J'attrapois, s'il m'en souvient bien. Quelque morceau de chou qui ne me coûtoit rien; Mais ici point d'aubaine; ou, si j'en ai quelqu'une, C'est de coups. » Il obtint changement de fortune, Et sur l'état d'un Charbonnier Il fut couché tout le dernier. Autre plainte. « Quoi donc? dit le Sort en colère, Ce baudet-ci m'occupe autant Que cent monarques pourroient faire. Croit-il être le seul qui ne soit pas content? N'ai-je en l'esprit que son affaire? » Le Sort avoit raison. Tous gens sont ainsi faits : Notre condition jamais ne nous contente; La pire est toujours la présente; Nous fatiguons le Ciel à force de placets. Qu'à chacun Jupiter accorde sa requête. Nous lui romprons encor la tète. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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