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Jules Laforgue



L'avare qui a perdu son trésor - Fable


Fable / Poémes d'Jules Laforgue





L'usage seulement fait la possession.

Je demande à ces gens de qui la passion

Est d'entasser toujours, mettre somme sur somme,

Quel avantage ils ont que n'ait pas un autre homme.

Diogène là-bas est aussi riche qu'eux.

Et l'avare ici-haut comme lui vit en gueux.

L'homme au trésor caché qu'Esope nous propose.

Servira d'exemple à la chose-Ce malheureux attendoit,
Pour jouir de son bien, une seconde vie;
Ne possédoit pas l'or, mais l'or le possédoit.
Il avoit dans la tfcrre une somme enfouie,
Son cour avec, n'ayant autre déduit

Que d'y ruminer jour et nuit,
Et rendre sa chevance à lui-même sacrée.
Qu'il allât ou qu'il vînt, qu'il bût ou qu'il mangeât,
On l'eût pris de bien court, à moins qu'il ne songeât
A l'endroit où gisoit cette somme enterrée.
Il y fit tant de tours qu'un fossoyeur le vit,
Se douta du dépôt, l'enleva sans rien dire.
Notre
Avare, un beau jour, ne trouva que le nid.
Voilà mon homme aux pleurs : il gémit, il soupire,

Il se tourmente, il se déchire.
Un passant lui demande à quel sujet ses cris.

«
C'est mon trésor que l'on m'a pris. -
Votre trésor? où pris? -
Tout joignant cette pierre.

-
Eh ! sommes-nous en temps de guerre.
Pour l'apporter si loin?
N'eussiez-vous pas mieux fait



De le laisser chez vous en votre cabinet,

Que de le changer de demeure?
Vous auriez pu sans peine y puiser à toute heure. -
A toute heure, bons
Dieux! ne tient-il qu'à cela?

L'argent vient-il comme il s'en va?
Je n'y touchois jamais. -
Dites-moi donc, de grâce.
Reprit l'autre, pourquoi vous vous affligez tant,
Puisque vous ne touchiez jamais à cet argent :

Mettez une pierre à la place,

Elle vous vaudra tout autant. »

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Jules Laforgue
(1860 - 1887)
 
  Jules Laforgue - Portrait  
 
Portrait de Jules Laforgue

Biographie jules laforgue

«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè

Orientation bibliographique / Ouvres

L'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit

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