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Jules Laforgue



Le bucheron et mercure - Fable


Fable / Poémes d'Jules Laforgue





Votre goût a servi de règle à mon ouvrage :
J'ai tenté les moyens d'acquérir son suffrage.
Vous voulez qu'on évite un soin trop curieux,
Et des vains ornements l'effort ambitieux;
Je le veux comme vous : cet effort ne peut plaire.
Un auteur gâte tout quand il veut trop bien faire.
Non qu'il faille bannir certains traits délicats :
Vous les aimez, ces traits; et je ne les hais pas.
Quant au principal but qu'Esope se propose,

J'y tombe au moins mal que je puis.
Enfin, si dans ces vers je ne plais et n'instruis,
Il ne tient pas à moi; c'est toujours quelque chose.
Comme la force est un point
Dont je ne me pique point,
Je tâche d'y tourner le vice en ridicule,
Ne pouvant l'attaquer avec des bras d'Hercule.
C'est là tout mon talent; je ne sais s'il suffit.

Tantôt je peins en un récit
La sotte vanité jointe avecque l'envie,
Deux pivots sur qui roule aujourd'hui notre vie :

Tel est ce chétif animal
Qui voulut en grosseur au
Bceuf se rendre égal.
J'oppose quelquefois, par une double image,



Le vice à la vertu, la sottise au bon sens,
Les
Agneaux aux
Loups ravissants,
La
Mouche à la
Fourmi; faisant de cet ouvrage
Une ample comédie à cent actes divers.

Et dont la scène est l'Univers.
Hommes, dieux, animaux, tout y fait quelque rôle,
Jupiter comme un autre.
Introduisons celui
Qui porte de sa part aux
Belles la parole :
Ce n'est pas de cela qu'il s'agit aujourd'hui.

Un
Bûcheron perdit son gagne-pain.
C'est sa cognée; et la cherchant en vain.
Ce fut pitié là-dessus de l'entendre.
Il n'avoit pas des outils à revendre :
Sur celui-ci rouloit tout son avoir.
Ne sachant donc où mettre son espoir,
Sa face étoit de pleurs toute baignée : «
O ma cognée! ô ma pauvre cognée!
S'écrioit-il :
Jupiter, rends-la-moi;
Je tiendrai l'être encore un coup de toi. »
Sa plainte fut de l'Olympe entendue.
Mercure vient. «
Elle n'est pas perdue.
Lui dit ce dieu; la connoîtras-tu bien?
Je crois l'avoir près d'ici rencontrée. »
Lors une d'or à l'homme étant montrée.
Il répondit : «
Je n'y demande rien. »
Une d'argent succède à la première.
Il la refuse; enfin une de bois : «
Voilà, dit-il, la mienne cette fois;
Je suis content si j'ai cette dernière.

-
Tu les auras, dit le
Dieu, toutes trois :
Ta bonne foi sera récompensée.

-
En ce cas-là je les prendrai », dit-il.
L'histoire en est aussitôt dispersée;

Et boquillons de perdre leur outil,
Et de crier pour se le faire rendre.



Le roi des
Dieux ne sait auquel entendre.

Son fils
Mercure aux criards vient encor;

A chacun d'eux il en montre une d'or.

Chacun eût cru passer pour une bête

De ne pas dire aussitôt : «
La voilà! »

Mercure, au lieu de donner celle-là.

Leur en décharge un grand coup sur la tête.

Ne point mentir, être content du sien.
C'est le plus sûr : cependant on s'occupe
A dire faux pour attraper du bien.
Que sert cela?
Jupiter n'est pas dupe.

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Jules Laforgue
(1860 - 1887)
 
  Jules Laforgue - Portrait  
 
Portrait de Jules Laforgue

Biographie jules laforgue

«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè

Orientation bibliographique / Ouvres

L'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit

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