Jules Laforgue |
J'ai lu chez un conteur de fables, Qu'un second Rodilard, l'Alexandre des chats, L'Attila, le fléau des rats, Rendoit ces derniers misérables; J'ai lu, dis-je, en certain auteur, Que ce Chat exterminateur, Vrai Cerbère, étoit craint une lieue à la ronde : Il vouloit de Souris dépeupler tout le monde. Les planches qu'on suspend sur un léger appui, La mort-aux-rats, les souricières, N'étoient que jeux au prix de lui. Comme il voit que dans leurs tanières Les Souris étoient prisonnières. Qu'elles n'osoient sortir, qu'il avoit beau chercher, Le galand fait le mort, et du haut d'un plancher Se pend la tête en bas : la bête scélérate A de certains cordons se tenoit par la patte. Le peuple des Souris croit que c'est châtiment, Qu'il a fait un larcin de rôt ou de fromage, Égratigné quelqu'un, causé quelque dommage; Enfin qu'on a pendu le mauvais garnement. Toutes, dis-je, unanimement Se promettent de rire à son enterrement, Mettent le nez à l'air, montrent un peu la tête, Puis rentrent dans leurs nids à rats. Puis ressortant font quatre pas, Puis enfin se mettent en quête. Mais voici bien une autre fête : Le pendu ressuscite; et sur ses pieds tombant, Attrape les plus paresseuses. « Nous en savons plus d'un, dit-il en les gobant : C'est tour de vieille guerre; et vos cavernes creuses Ne vous sauveront pas, je vous en avertis : Vous viendrez toutes au logis. » Il prophétisoit vrai : notre maître Mitis Pour la seconde fois les trompe et les affine, Blanchit sa robe et s'enfarine; Et de la sorte déguisé, Se niche et se blottit dans une huche ouverte. Ce fut à lui bien avisé : La gent trotte-menu s'en vient chercher sa perte. Un Rat, sans plus, s'abstient d'aller flairer autour : C'étoit un vieux routier, il savoit plus d'un tour; Même il avoit perdu sa queue à la bataille. « Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille, S'écria-t-il de loin au général des Chats : Je soupçonne dessous encor quelque machine : Rien ne te sert d'être farine; Car, quand tu serois sac, je n'approcherais pas. » C'étoit bien dit à lui; j'approuve sa prudence : Il étoit expérimenté, Et savoit que la méfiance Est mère de la sûreté. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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