Jules Laforgue |
Le Loup et le Renard sont d'étranges voisins : Je ne bâtirai point autour de leur demeure. Ce dernier guettoit à toute heure Les poules d'un Fermier; et, quoique des plus fins, Il n'avoit pu donner d'atteinte à la volaille. D'une part l'appétit, de l'autre le danger, N'étoient pas au compère un embarras léger. « Hé quoi! dit-il, cette canaille Se moque impunément de moi? Je vais, je viens, je me travaille. J'imagine cent tours : le rustre, en paix chez soi, Vous fait argent de tout, convertit en monnoie Ses chapons, sa poulaille; il en a même au croc; Et moi, maître passé, quand j'attrape un vieux coq, Je suis au comble de la joie! Pourquoi sire Jupin m'a-t-il donc appelé Au métier de renard? Je jure les puissances De l'Olympe et du Styx, il en sera parlé. » Roulant en son cour ces vengeances, Il choisit une nuit libérale en pavots : Chacun étoit plongé dans un profond repos; Le maître du logis, les valets, le chien même, Poules, poulets, chapons, tout dormoit. Le Fermier, Laissant ouvert son poulailler, Commit une sottise extrême. Le voleur tourne tant qu'il entre au lieu guetté, Le dépeuple, remplit de meurtres la cité. Les marques de sa cruauté Parurent avec l'aube : on vit un étalage De corps sanglants et de carnage. Peu s'en fallut que le Soleil Ne rebroussât d'horreur vers le manoir liquide. Tel et d'un spectacle pareil, Apollon irrité contre le fier Atride Joncha son camp de morts : on vit presque détruit L'ost des Grecs; et ce fut l'ouvrage d'une nuit. Tel encore autour de sa tente Ajax, à l'âme impatiente, De moutons et de boucs fit un vaste débris, Croyant tuer en eux son concurrent Ulysse Et les auteurs de l'injustice Par qui l'autre emporta le prix. Le Renard, autre Ajax, aux volailles funeste, Emporte ce qu'il peut, laisse étendu le reste. Le maître ne trouva de recours qu'à crier Contre ses gens, son chien : c'est l'ordinaire usage. « Ah! maudit animal, qui n'es bon qu'à noyer, Que n'avertissois-tu dès l'abord du carnage? - Que ne l'évitiez-vous ? c'eût été plus tôt fait : Si vous, maître et fermier, à qui touche le fait, Dormez sans avoir soin que la porte soit close, Voulez-vous que moi, Chien, qui n'ai rien à la chose, Sans aucun intérêt je perde le repos ? » Ce Chien parloit très à propos : Son raisonnement pouvoit être Fort bon dans la bouche d'un maître, Mais, n'étant que d'un simple chien, On trouva qu'il ne valoit rien : On vous sangla le pauvre drille. Toi donc, qui que tu sois, ô père de famille (Et je ne t'ai jamais envié cet honneur), T'attendre aux yeux d'autrui quand tu dors, c'est erreur. Couche-toi le dernier, et vois fermer ta porte. Que si quelque affaire t'importe. Ne la fais point par procureur. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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