Jules Laforgue |
Un amateur du jardinage. Demi-bourgeois, demi-manant, Possédoit en certain village Un jardin assez propre, et le clos attenant. Il avoit de plant vif fermé cette étendue. Là croissoit à plaisir l'oseille et la laitue, De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet, Peu de jasmin d'Espagne, et force serpolet. Cette félicité par un lièvre troublée Fit qu'au Seigneur du bourg notre homme se plaignit. « Ce maudit animal vient prendre sa goulée Soir et matin, dit-il, et des pièges se rit; Les pierres, les bâtons y perdent leur crédit : Il est sorcier, je crois. - Sorcier? je l'en défie, Repartit le Seigneur : fût-il diable, Miraut, En dépit de ses tours, l'attrapera bientôt. Je vous en déferai, bon homme, sur ma vie. - Et quand ? - Et dès demain, sans tarder plus longtemps. » La partie ainsi faite, il vient avec ses gens. « Çà, déjeunons, dit-il : vos poulets sont-ils tendres? La fille du logis, qu'on vous voie, approchez : Quand la marierons-nous? quand aurons-nous des [gendres ? Bon homme, c'est ce coup qu'il faut, vous m'entendez, Qu'il faut fouiller à l'escarcelle. » Disant ces mots, il fait connoissance avec elle, Auprès de lui la fait asseoir, Prend une main, un bras, lève un coin du mouchoir, Toutes sottises dont la belle Se défend avec grand respect : Tant qu'au père à la fin cela devient suspect. Cependant on fricasse, on se rue en cuisine. « De quand sont vos jambons? ils ont fort bonne mine. - Monsieur, ils sont à vous. - Vraiment, dit le Seigneur, Je les reçois, et de bon cour. » Il déjeune très-bien; aussi fait sa famille, Chiens, chevaux, et valets, tous gens bien endentés : Il commande chez l'hôte, y prend des libertés, Boit son vin, caresse sa fille. L'embarras des chasseurs succède au déjeuné. Chacun s'anime et se prépare : Les trompes et les cors font un tel tintamarre Que le bon homme est étonné. Le pis fut que l'on mit en piteux équipage Le pauvre potager : adieu planches, carreaux; Adieu chicorée et porreaux; Adieu de quoi mettre au potage. Le lièvre étoit gîté dessous un maître chou. On le quête; on le lance : il s'enfuit par un trou, Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie Que l'on fit à la pauvre haie Par ordre du Seigneur; car il eût été mal Qu'on n'eût pu du jardin sortir tout à cheval. Lç bon homme disoit : « Ce sont là jeux de prince. » Mais on le laissoit dire; et les chiens et les gens Firent plus de dégât en une heure de temps Que n'en auraient fait en cent ans Tous les lièvres de la province. Petits princes, videz vos débats entre vous : De recourir aux rois vous seriez de grands fous. Il ne les faut jamais engager dans vos guerres, Ni les faire entrer sur vos terres. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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