Jules Laforgue |
Un Lièvre en son gîte songeoit (Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe?); Dans un profond ennui ce Lièvre se plongeoit : Cet animal est triste, et la crainte le ronge. « Les gens de naturel peureux Sont, disoit-il, bien malheureux. Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite; Jamais un plaisir pur; toujours assauts divers. Voilà comme je vis : cette crainte maudite M'empêche de dormir, sinon les yeux ouverts. Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle. Et la peur se corrige-t-elle? Je crois même qu'en bonne foi Les hommes ont peur comme moi. » Ainsi raisonnoit notre Lièvre, Et cependant faisoit le guet. Il étoit douteux, inquiet : Un souille; une ombre, un rien, tout lui donnoit la fièvre Le mélancolique animal, En rêvant à cette matière. Entend un léger bruit : ce lui fut un signal Pour s'enfuir devers sa tanière. Il s'en alla passer sur le bord d'un étang. Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes; Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes. « Oh! dit-il, j'en fais faire autant Qu'on m'en fait faire! Ma présence Effraie aussi les gens! je mets l'alarme au camp! Et d'où me vient cette vaillance? Comment? des animaux qui tremblent devant moi! Je suis donc un foudre de guerre! Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi. » |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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