Jules Laforgue |
Sévigné, de qui les attraits Servent aux Grâces de modèle, Et qui naquîtes toute belle, A votre indifférence près, Pourriez-vous être favorable Aux jeux innocents d'une fable, Et voir, sans vous épouvanter. Un Lion qu'Amour sut dompter? Amour est un étrange maître. Heureux qui peut ne le connoître Que par récit, lui ni ses coups! Quand on en parle devant vous, Si la vérité vous offense, La fable au moins se peut souffrir : Celle-ci prend bien l'assurance De venir à vos pieds s'offrir, Par zèle et par reconnoissance. Du temps que les bêtes parloient. Les lions entre autres vouloient Être admis dans notre alliance. Pourquoi non ? puisque leur engeance Valoit la nôtre en ce temps-là, Ayant courage, intelligence, Et belle hure outre cela. Voici comment il en alla : Un Lion de haut parentage. En passant par un certain pré, Rencontra bergère à son gré : Il la demande en mariage. Le père auroit fort souhaité Quelque gendre un peu moins terrible. La donner lui sembloit bien dur; La refuser n'étoit pas sûr; Même un refus eût fait, possible, Qu'on eût vu quelque beau matin Un mariage clandestin; Car outre qu'en toute manière La belle étoit pour les gens fiers, Fille se coiffe volontiers D'amoureux à longue crinière. Le père donc ouvertement N'osant renvoyer notre amant. Lui dit : « Ma fille est délicate; Vos griffes la pourront blesser Quand vous voudrez la caresser. Permettez donc qu'à chaque patte On vous les rogne; et pour les dents, Qu'on vous les lime en même temps : Vos baisers en seront moins rudes. Et pour vous plus délicieux; Car ma fille y répondra mieux. Étant sans ces inquiétudes. » Le Lion consent à cela. Tant son âme étoit aveuglée! Sans dents ni griffes le voilà, Comme place démantelée. On lâcha sur lui quelques chiens : Il fit fort peu de résistance. Amour, Amour, quand tu nous tiens On peut bien dire : « Adieu prudence! » |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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