Jules Laforgue |
Sultan Léopard autrefois Eut, ce dit-on, par mainte aubaine, Force boufs dans ses prés, force cerfs dans ses bois, Force moutons parmi la plaine. Il naquit un Lion dans la forêt prochaine. Après les compliments et d'une et d'autre part, Comme entre grands il se pratique, Le sultan fit venir son vizir le Renard, Vieux routier, et bon politique. « Tu crains, ce lui dit-il. Lionceau mon voisin; Son père est mort; que peut-il faire? Plains plutôt le pauvre orphelin. Il a chez lui plus d'une affaire. Et devra beaucoup au Destin S'il garde ce qu'il a, sans tenter de conquête. » Le Renard dit, branlant la tête : « Tels orphelins, Seigneur, ne me font point pitié; Il faut de celui-ci conserver l'amitié, Ou s'efforcer de le détruire Avant que la griffe et la dent Lui soit crue, et qu'il soit en état de nous nuire. N'y perdez pas un seul moment. J'ai fait son horoscope : il croîtra par la guerre; Ce sera le meilleur Lion, Pour ses amis, qui soit sur terre : Tâchez donc d'en être; sinon Tâchez de l'afïbiblir. » La harangue fut vaine. Le Sultan dormoit lors; et dedans son domaine Chacun dormoit aussi, bêtes, gens : tant qu'enfin Le Lionceau devient vrai Lion. Le tocsin Sonne aussitôt sur lui; l'alarme se promène De toutes parts; et le Vizir, Consulté là-dessus, dit avec un soupir : « Pourquoi l'irritez-vous? La chose est sans remède. En vain nous appelons mille gens à notre aide : Plus ils sont, plus il coûte; et je ne les tiens bons Qu'à manger leur part des moutons. Apaisez le Lion : seul il passe en puissance Ce monde d'alliés vivants sur notre bien. Le Lion en a trois qui ne lui coûtent rien. Son courage, sa force, avec sa vigilance. Jetez-lui promptement sous la griffe un mouton; S'il n'en est pas content, jetez-en davantage : Joignez-y quelque bceuf; choisissez, pour ce don, Tout le plus gras du pâturage. Sauvez le reste ainsi. » Ce conseil ne plut pas. Il en prit mal; et force États Voisins du Sultan en pâtirent : Nul n'y gagna, tous y perdirent. Quoi que fît ce monde ennemi. Celui qu'ils craignoient fut le maître. Proposez-vous d'avoir le Lion pour ami, Si vous voulez le laisser craître. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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