Jules Laforgue |
Mais d'où vient qu'au Renard Ésope accorde un point C'est d'exceller en tours pleins de matoiserie? J'en cherche la raison, et ne la trouve point. Quand le Loup a besoin de défendre sa vie, Ou d'attaquer celle d'autrui. N'en sait-il pas autant que lui? Je crois qu'il en sait plus; et j'oserois peut-être Avec quelque raison contredire mon maître. Voici pourtant un cas où tout l'honneur échut A l'hôte des terriers. Un soir il aperçut La lune au fond d'un puits : l'orbiculaire image Lui parut un ample fromage Deux seaux alternativement Puisoient le liquide élément : Notre Renard, pressé par une faim canine, S'accommode en celui qu'au haut de la machine L'autre seau tenoit suspendu. Voilà l'animal descendu, Tiré d'erreur, mais fort en peine. Et voyant sa perte prochaine : Car comment remonter, si quelque autre affamé, De la même image charmé, Et succédant à sa misère, Par le même chemin ne le tiroit d'affaire? Deux jours s'étoient passés sans qu'aucun vînt au puits. Le temps, qui toujours marche, avoit, pendant deux nuits, Échancré, selon l'ordinaire, De l'astre au front d'argent la face circulaire. Sire Renard étoit désespéré. Compère Loup, le gosier altéré, Passe par là. L'autre dit : « Camarade, Je vous veux régaler : voyez-vous cet objet? C'est un fromage exquis : le dieu Faune l'a fait; La vache Io donna le lait. Jupiter, s'il étoit malade, Reprendroit l'appétit en tàtant d'un tel mets. J'en ai mangé cette échancrurc; Le reste vous sera suffisante pâture. Descendez dans un seau que j'ai là mis exprès. » Bien qu'au moins mal qu'il pût il ajustât l'histoire, Le Loup fut un sot de le croire; Il descend, et son poids emportant l'autre part, Reguinde en haut maître Renard. Ne nous en moquons point : nous nous laissons séduire Sur aussi peu de fondement: Et chacun croit fort aisément Ce qu'il craint et ce qu'il désire. |
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Jules Laforgue (1860 - 1887) |
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Portrait de Jules Laforgue | |||||||||
Biographie jules laforgue«Pendant une période de vie très modeste dans sa famille, vie devenue dure avec les soucis d'argent, Jules Laforgue, né à Montevideo, en 1860, sentit s'éveiller son esprit aux chefs-d'ouvres des Musées de Paris et aux longues lectures dans le jardin du Luxembourg; il aima d'abord Taine, Renan, Huysmans, puis alla vers Bourget, dont l'analyse inquiète et naïve l'attirait. Son ambition de la vingtiè Orientation bibliographique / OuvresL'art de Laforgue occupe une place unique dans la poésie française. En effet, on retrouve chez lui une fusion rare entre l'expression de la mélancolie la plus vive et un ton ironique, parfois trivial (comme dans La Chanson du petit hypertrophique) qui, sous d'autres plumes, serait tombé dans le prosaïsme. Parfois aussi, lorsque Laforgue évoque des sujets aussi graves que la question du libre arbit |
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